[fin de Journées nettes, page Web originale]
1-
Adieu. Et au revoir ? Demain, le 8 décembre, il y a un an, je partais. Dans cette aventure que constitue un journal. Toute une année déjà ? Incroyable. Le chanteur : « On ne voit pas le temps passer ». Si vrai. Hier soir, bonne bouffe au « Afghan », rue Duluth coin Saint-Hubert –apportez votre vin—, avec soupe et entrées (delicioso !) afghanes, tendre mouton sur trois riz afghans, thé afghan. Délicieux repas. Petit restau où nous conduisaient sans égfaillir (ils savent les bons « spots ») Pierre-Jean « Cuire-Air-Riez » et sa « filiforme » —non filigrane— Ca(sse) role, la psy.
En après-midi, j’étais en studio (pré-enregistrement pour le 31) avec le tandem disproportionné, le nabot Paul Houde et l’échassière Dominique Bertrand. Tentative risquée et folichonne de les faire bricoler une ménagerie avec mes bonbons. On a ri de mon échec…relatif. Geneviève Saint-Germain, dont je tente de retracer les origines, proteste faisant fi du passé, des souvenirs et de la nostalgie. La belle rébarbative aux racines me déconcerte. On sait ma manie de la généalogie. Un allié de mon goût : ce Pierre-Jean. Marchant vers sa voiture, rue Saint-Hubert, me voilà ravi quand il m’indique la maison-école de la fameuse prof de diction, Madame Audet, l’escalier où les élèves attachaient les vélos, le soupirail de la cave-studio « c’est mon père, dit-il, qui avait rénové cette cave ».
Avant d’arriver à la rue Roy, je lui montre le garage derrière un petit manoir, jadis propriété des Prud’homme, quincailliers en gros, un oncle riche, où se vivait le « Studio XV » de l’animateur de théâtre Gérard Vleminck. Adolescent, enthousiaste j’y avais vu, de Lorca, « La maison de Bernarda ». Pierre-Jean : « On marchait souvent, Serge Turgeon, Yves Corbeil, d’autres, jusqu’à ma rue Leman, dans Villeray ». Je dis : « Diable, vingt coins de rues non »? Le temps, l’espace, comptaient pas, dit-il, on refaisait le monde »! Nos jeunesses trop vite enfuies. Les Saint-Germain riraient de nous si heureux de nos réminiscences.
2-
Hier, dans le noir du soir, au coin d’Hutcheson et Mont-Royal, sortant de chez Cuir-Air-Riez, revoir, pas loin, le petit édifice tout blanc au pied du mont Royal : je me suis revu, collégien sortant de cet ex-terminus des trams avec mes vieux skis, les soirs de congé en hiver. Loisir adoré où de si joies filles skiaient vers l’ange de bronze juché en l’air sur le monument à Louis-Phil Lafontaine, signé Laliberté. À notre thé afghan, plus tôt, nous jasions sur le grand rassemblement « des vétérans » de la télé mercredi soir, soudain Aile qui pleure abondamment. Notre désarroi. Elle racontait des remords. D’avoir revu —vingt ans plus tard, vingt ans trop tard— une fidèle amie, scripte qui sombrait dans la dépression à répétition. Cette H.L., qui, mercredi, la regarde muette, semblant lui reprocher son abandon… La douleur et voilà Aile inconsolable, se croyant avoir été très lâche. Carole, psy, a les bonnes paroles pour la consoler, la rassurer. Grand malaise et puis le calme revenu enfin.
3-
Ici m’empêcher de sombrer dans les phrases solennelles parce que je quitte le journal. Non. Continuer comme j’ai commencé. Tenez, cahier littérature du Devoir lu tantôt : la « une » consacrée encore à des auteurs étrangers. Le racisme inverti sévit. Je me tairais si je savais qu’en France —ou en Belgique, n’importe où dans le monde— les journaux consacraient des « unes » à nos livres. N’en croyez rien, bien entendu. Eux ne sont pas des colonisés jouant les « internationaux », pétant plus haut que le trou.
En sixième page du cahier, bon papier de Biron sur le tout récent Poulin lu : « Les yeux bleus… » J’ai aimé ce bref roman se déroulant dans le Vieux-Québec. Honneur au mérite, comme on disait dans nos écoles jadis. Microbes, virus ? Ce matin j’ai jeté à la poubelle tout le stock de friandises apporté aux maladroits bricoleurs de « Tous les matins », étalées sur la table du studio, tripotées par toutes ces sales mains de salisseurs, de salauds —ils se sont bien moqués de ma tentative. À la fin mon Houde qui me lance : « Bon. Était-ce l’essentiel de votre topo, oui? Croyez-vous devoir être payé pour ça » ? Le saligaud !
La Sodec et Téléfilm versaient, les yeux fermés, sept millions de notre argent public sur un scénario de Louis Saïa, « Les dangereux ». Le film est classé partout (radio-télé-journaux) le « pire navet jamais tourné dans nos murs ». Unanimité noire : « Les dangereux, c’est de la merde »! Ces jurés anonymes qui scrutent les projets à subventionner —avec notre mazoune— sont-ils des « bouchés des deux bouttes »? Des bornés pathologiques ? Eh oui !
4-
L’ami-réalisateur Castonguay, alias Tit-Cass, au téléphone à l’instant : « Claude ? Salut ! Ce soir, ton film belge « Pleure pas Germaine », montré à neuf heures et demi, à Télé-Québec ». C’est bien noté. Lui qui appréciait tant mes lettres ouvertes d’antan, je lui apprend s qu’il y a mon journal à claudejasmin.com, s’il a envie de me lire. Surpris il me dit : « Ah bon, je vais tout de suite aller voir ça ». Mon Tit-Cass lira donc l’avant-dernière entrée !
Mél : invitation pour conférencer à Sainte-Thérèse en… février, j’y reviens, c’est loin. Dire « oui » sans être certain d’y être. Voyage obligatoire imprévu ? Maladie grave ? Accident fatal, euh… décès ? Eh, personne n’est immortel. Donner son accord et croiser les doigts.
Aile me récitait le lot des atrocités habituelles glanées dans les gazettes de ce matin. Elle est revirée. Assassinats, scandales sexuels, un savant pédiatre complètement tordu à l’hôpital de Drummondville, un père, loque humaine, dénaturé, un jeune instructeur de loisirs pervers, pédophilie crasse chez des enfants amérindiens, l’ouvrage satanique d’un bon père Oblat en haute mauricie, meurtres crapuleux, détournements néfastes d’argent public… Une montagne, que dis-je, une chaîne de montagnes de malhonnêtetés.
Moi, furetant dans une grosse bio de Queneau, je dis : « Eh oui, voilà d’où sort le cynisme de nous tous, notre méfiance. On devrait cesser de lire tous les matins ces listes d’horreurs, c’est démoralisant, désespérant, déstabilisant. Surtout démobilisateur, non ? Aile, comme se sortant d’un bain de boue, dit : « Oui, oui ». Mais demain matin, nous lirons la suite de ce « carnaval des animaux ». Animaux ? Non, n’insultons pas les bêtes, non !André Pratte, dans La Presse de ce matin, justement, dresse sa liste des monstruosités : 1-députés voulant doubler les retraites pourtant déjà bien payantes, 2- grands bureaux luxueux pour des PDG de l’État, 3- favoritisme éhonté —et bien politicien— tous azimut, 4- millions mal gérés (loi sur armements). Pratte est d’accord. Le résultat : le cynisme. Avec, forcément, le désintérêt des citoyens écœurés pour la démocratie élective. Danger très grave.
5-
Étonnant de lire la charge anti-fédérale d’une Lysiane Gagnon ce matin. Elle commente le centralisme effarant du projet fédéralisateur du sieur Romanow, ajoutant qu’il se cherche un bon job en suggérant l’invention —dans son rapport centralisateur— d’un BMS, Bureau mondial de la Santé. J’ai ri : la Gagnon n’oserait jamais publier (chez le père Desmarais): « Vive le Québec libre, libre du « tout à Ottawa ». Comme on dit « tout à l’égout ». À gauche de cette lysiatanie, la droitière ouimessie (M. Ouimet) bafouille en sa colonne sur « Vie de fou », cherchant qui blâmer sur « maman au travail », « papa absent stressé », une farce. Bien enfoncée dans sa presse consommationniste (à outrance ) elle fait mine de philosopher. Causerie à vide.
Le Gérald Tremblez (sic) abolit la coutume chrétienne du grand sapin illuminée (hôtel de Ville). Pour pas gêner nos nouveaux-venus. Lettre ouverte de Caroline Dupuis pour se moquer : les autres cultures, c’est sacré, faut pas les offenser. « On ne voit pas ce reniement nulle part au monde » dit-elle, ajoue : « imbéciles colonisés ». À ses cotés, Khuong V Thanh : « Au Vietnam, mon pays bouddhiste à 90 %, Noël était fêté comme dans tout l’univers. Niaiserie que cette idée de ne pas offenser les autres cultures ». Une émigrante étonnante, Marie-Rose Bacaron, dit clairement que l’émigrant n’a pas à se sentir mal là où il a choisi de s’installer, mais à s’adapter. Elle livre son aversion de nous voir, collectivement, nous rapetisser, nous écraser par complaisance. Laisser s’écraser nos traditions, us et coutumes par « colonialisme » (son mot) . Elle regrette les ghettos qui encouragent à la non-intégration, elle note que tchador, kirpan, turban, hijab, s’installent hardiment. Son désaccord est courageux, il fait honte aux « trembleurs » de service un peu partout, toujours disposés à s’effacer de leur propre histoire. Comme les enragés de la laïcité —tel ce petit Baril-Tonneau des Droits de l’Homme en tête de ce cortège au neutre bien gris— s’énervant des croix chrétiennes en places publiques, héritage historique renié.
Même « tribune des lecteurs », un ironiste doué, Daniel Savard de Belœil (même sujet), dit qu’il installera sous son palmier à cocos lumineux dans son salon, pas une crèche à paille, mais un igloo, pas d’âne mais un phoque. Un morse à la place du bœuf et, enfin, au lieu d’un enfant Jésus, un ourson… polaire. J’ai ri.
6-
J’avais 33 ans, c’était 1964, j’écrivais dans ma cave les premières lignes de « Pleure pas Germaine ». Cela se passe dans Villeray, le chômeur « au loyer pas payé », Gilles Bédard, râle face aux policiers de la rue Jarry, des paresseux incapables de trouver le meurtrier de sa grande Rolande. Il y a le laid viaduc du boulevard Métropolitain derrière sa caboche d’ivrogne.
Un soir de l’an 2000, au Festival du film, je voyais un autre Gilles Bédard, flamand francisé, qui gueule lui aussi. Le laid viaduc d’une banlieue de Bruxelles proche de sa maison modeste. Il va partir à la recherche de l’assassin de sa Rolande avec sa Germaine qu’i aime toujours. Et les quatre enfants qu’il va mieux découvrir. Je regardais avec un vif plaisir la version filmique de « Pleure pas Germaine » par le jeune cinéaste Alain de Halleux. À Télé-Québec, ce soir, je regarderai encore ce film sans aucune cascade, ni effets spéciaux, rien de « dangereux », être ému encore quand le Gilles va s’écrier : « Débarrassez-vous de moi, partez sans moi, vite, laissez-moi ici, allez-vous en, à quoi je sers Germaine, à quoi je suis bon ? À rien » !
7-
Dernière entrée donc. Oui, adieu et au revoir. À quoi je servais avec ce journal ? À rien ? Non, non, j’ai reçu des messages chauds comme du miel, j’ai entendu des commentaires, bons comme du bon pain. Merci. Adieu et au revoir !