Je me suis déjà perdu, en plein hiver, dans les bois derrière Sainte-Adèle. Je n’étais plus un enfant pourtant. Tout jeune, nos entendions parler d’enfants, comme nous disions, « qui s’étaient écartés. » La peur. Partant, la prudence. Ne pas top s’éloigner de notre environnement familier. « Éloignez-vous pas », était le cri des parents nerveux. « Oui, je m’étais t’écarté » à Sainte-Adèle, à 20 ans. Enfant, on y jongle, l’horreur : se perdre dans une forêt épaisse. Comme dans le conte de Perrault, « Le petit poucet », ou bien comme « Hansel et Gretel » chez le célèbre conteur Grimm.
Il y eut une première fois. En plein été. À la campagne. Nous étions une bande, tous âgés entre 10 et 12 ans. Derrière les maisons de la seule rue principale —en 1942— de ce lieu de villégiature (Pointe-Calumet), il y avait la nature touffue, avec plein d’arbres et des bosquets sauvages, au sol des fougères en masse. Et des grenouilles ! Pas de soleil, un ciel bien gris, donc pas de nos habituelles baignades, ni nos plongeons des radeaux, dans le lac des Deux Montagnes. Nous sommes partis, avec des bâtons, et des sacs, safari aux grenouilles !
Nous marchions librement allant vers l’ouest, du côté « forêt dense ». Mini tarzans, nous aimions sembler nous enfoncer dans une jungle. Marche, marche… plus d’une heure s’était écoulée, nos poches de jute se remplissaient de nos prises batraciennes. Cinq cennes la cuisse en ce temps-là chez les Vaillancourt, les Defoy-Legault, les Laurin ou chez ces Allemands du chalet-à-tourelle dans l’est de la Pointe.
Coups de tonnerre soudain et tit-Yves, inquiét : « On est rendus où, là ? » On ne le savait pas. En allant au nord aurait rencontré la grande route et Saint-Joseph-du-lac, vers l’est, nous serions arrivés à Plage Roger, Sainte-Marthe. Panique. Les eaux glauques d’une grande baie inconnue, nous bloqua le chemin. Des écartés ! On entendit sonner des cloches au loin. On apprendra : celles de La Trappe des moines à Oka. Voilà tit-Yves en larmes et tit-Gilles pousse des cris. Pas en vain, un vieux pêcheur des brochets de la Grande Baie nous découvre. Et il va rire de notre angoisse, nous guidera vers la route numéro 29. Ouf ! Sauvés !
Mais se perdre à Sainte-Adèle ? Oui, un surlendemain de Noël ? Artiste mais aussi plongeur du Chantecler, j’ai deux compagnons et nous partons un soir, très tard. Projet : marcher avec des bâtons de pèlerins, sans aucun plan en forêt. Pas un seul condo et tous les arbres sont debout en 1950 ! Il y a Marcel, pâtissier émérite, un Marseillais, aussi Roland, saucier aguerri, un Belge. Le trio d’explorateurs admire une lune vive et immense qui jaunit la neige. C’est émouvant. Le silence ! Parfois cassé par des cris d’oiseaux inconnus. Parle, parle, marche, marche, en riant quelques cantiques entonnés à tue-tête puis…nous voilà perdus ! Ne plus savoir dans quelle direction foncer. Tournons- en rond. On ne chante plus. Voilà qu’on revoit le même abri, hutte démantibulée. La panique ! Soudain, lumière à une fenêtre givrée, cabanon délabré, on y va. Un hobo en camisole, un squatter pas rasé, borborygme et je traduis pour mes européens. Odeurs éthyliques ! Ce Bill Wabo m’écoute et puis consent à nous guider. Les trois écartés se calment. Le miséreux revêt son capot de chat usé et nous conduit dans une clairière. Très loin, des voitures roulent sur une route. Sauvés ! Comme à 12 ans !
2 Réponses to “SE PERDRE…”
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Je me suis perdu sur mon propre terrain de 50 acres, il y a quelques années. J’ai tourné en rond pendant une heure; j’étais perdu ! J’ai retrouvé enfin un repère et j’ai pu revenir chez moi, fatigué et honteux…
Penaud, j’ai raconté ma mésaventure à ma femme , qui n’a pas ri; elle comprenait.
Faut dire qu’elle se perd facilement dans beaucoup plus petit que 50 acres !
Moi je me perds toujours dans les dédales de nos lois, de notre culture et de la turpitude politicienne.