Je le cherchais des yeux souvent dans les rues avoisinantes depuis qu’il me semblait… parti, j’éprouvais un certain malaise. Je l’aimais bien. Était-il déménagé du village. Où était-il rendu ? Je ne savais pas ce qui lui était arrivé. Je m’y étais attaché à Jean Mackay. C’était un beau grand géant. Cheveux frisés. Toujours bien droit malgré un canne à son flanc. Mon aîné de presque un douzaine d’années.
La première rencontre, il y a plusieurs années, fut si légère, ironique et cordial car il aimait rire, mon Jean. Il m’attaquait à chaque fortuite rencontre en rigolant : « Comment ça va m’sieur l’écrevisse ? » Son rire bien franc. C’était un gaillard qui me semblait en si bonne santé. Il allait mourir à 110 ans, que je me disais, et encore ! Le croisant à tel ou tel coin de rues, je lui criais très fort : « Salut mackaile, p’tit kapaille-black-eye ! », il sursautait chaque fois et puis riait. Me montrait sa canne brandi.
Rue Grignon, rue Grondin, rue Lesage ou dans la rue qui mène à l’église, nous aimions deviser sur tout et rien. Nos jacasseries étaient comme un prétexte, celui de palabrer sur les actualités chaudes, à l’ombre ou au soleil, été comme hiver. J’aimais ce Jean Mackay au tempérament optimiste, aux propos sages, amateur de gros bon sens. Au fond, nous ne savions rien de l’un et de l’autre, nous n’étions que deux silhouettes quasi anonymes et pourtant affectueuses. Sans raison claire, sans but précis. Une sorte d’amitié lâche, une entente qui ne servait à rien, la gratuité totale. Jean m’était devenu un instrument vivant, humain du mobilier de nos rues de Sainte-Adèle. Fou hein ? Il ne me questionnait pas. Sur rien. Et moi de même. Deux adèlois libres.
Pourtant, un jour, je ne sais plus pourquoi, je vis son regard soudain s’assombrir. Il me racontait le fils d’une très belle jeune chanteuse (qui écrira des romans), aux amours tournées courtes, qui, prise de carrière débutante, lui confia son jeune garçon. « Mais, un mauvais jour, mon jeune adopté s’est enlevé la vie ! » Il détourna le regard. Une première. Je lui avais serré l’avant-bras. Il se secoua : « Ouais, on fait mieux de rentrer m’sieur l’écrevisse, regardez le ciel au dessus du lac, ça va tomber raide et fort ! »
Je l’avais regardé s’en aller, une marche de jeune homme, un pas si ferme et si solide. Non, il n’allait pas mourir de sitôt.
Oui, depuis longtemps, trop longtemps, je ne voyais plus Jean Mackay à ses capricieuses promenades dans le village; un jour, en bas, rue Valiquette, un jour, en haut, dans le parc de l’ex-hôtel Montclair, devenu amphithéâtre naturel. Je m’ennuyais de lui. Vraiment. Je me disais qu’il était sans doute aller vivre en ville dans une de ces résidences pour grands aînées, ou bien, chez un de ses enfants, loin, ailleurs. Eh bien non, je lis soudain dans le journal : « Les funérailles auront lieu le samedi 11 décembre à 14 h à l’église de Val David. »
Il y a des années, un soir, dans un resto de la rue du Chantecler, veillée sublime pour les amateurs de petite histoire comme moi, un très vieux vieillard, à la mémoire inouïe, M. Lupien, me raconta avec verve et une mémoire intacte le Sainte-Adèle du temps du gros docteur et agent des terres Grignon, père du célèbre feuilletoniste. Ma joie alors ! Il y avait eu aussi mes rencontres inopinées avec le père-fondateur de te quincaillerie, le très vieux monsieur Théoret, avec canne lui aussi. Une autre si précieuse armoire-aux-archives gardées impeccablement. Ce causeur émérite est mort et même son fils, repreneur du commerce, lui aussi ! Bien avant le temps de Jésus, c’était écrit, n’est-ce pas ? Tempus fugit ! Et comment. Que Jean Mackay repose en paix, qu’il marche tête haute, et sans sa canne, dans les sentiers de ce paradis promis.
4 Réponses to “LA MORT DE JEAN”
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Ah ! cher Claude Jasmin : je viens de lire votre dernier billet, à peine reçu par-delà l’océan. et une fois de plus vous m’avez touchée. Mais aujourd’hui encore plus que d’habitude : peut-être parce que nous croisons tous un Mr Mackay sur notre chemin….
Christine Larré
Bonjour M.Jasmin bel hommage ,on à tous un Mackay dans notre vie et surtout souvent trop tard ,pour dire que l’ont les aime ,merci de nous le rappeler.
Merci à vous et lonque vie.
Bonjour monsieur Jasmin,
Je suis très touchée par votre mot. Mon père était mon meilleur ami et je l’ai accompagné les cinqs derniers mois de sa vie. Il a filé à l’écossaise, seul dans sa chambre, la nuit du 30 novembre. J’aurais tant souhaité ne pas lui lâcher la main jusqu’à ce moment ultime. Mais l’épuisement et l’infirmière m’ont conseillé de rentrer me reposer. J’ai pris le temps de lui faire savoir qu’il était « le plus meilleur père du monde » dans une dernière étreinte, comme un adieu exalté et implicite.
Il a été obligé de quitter sa maison de Val David l’année dernière à son corps défendant. Sa santé à ce moment là était encore assez bonne. Il passait ses journées à regarder ses arbres et à caresser sa chatte. Sans faire de vague.
Je me doutais qu’il ne supporterait sans doute pas plus d’un an cet enfermement dans un lieu de misère humaine où les résidents sont pris entre les mains d’un système déficient mais en apparence compétent en matière de soins de base. Quant aux soins de l’âme… c’est une autre question. Son charme lui attirait un petit surplus d’attention, peut-être. Mais nous n’avions malheureusement pas les moyens d’assurer une présence entière à ses côtés dans sa maison de Val David. À partir de là, dès son arrivée à St-Jovite, où il resta jusqu’en mars, et après quelques chutes qui auraient pu lui être fatales au cours des deux dernières années, il a décidé de ne plus marcher. Mais il a gardé son moral, sa sagesse et sa verve jusqu’à un mois avant la fin. Cachant avec brio son chagrin. Récitant sans cesse « Les sanglots longs des violons de l’automne… » comme un mantra.
Il est parti en toute lucidité, quittant le port par lui-même après une infection non-identifiée et des dizaines d’antibiotiques à large spectre qui l’ont rendu par moments catatonique et dépressif comme jamais.
Le jour où ils ont annoncé à la télé. le décès de la doyenne de l’humanité à 115 ans, madame Blanchard, il m’a dit : « Je vais essayer de la dépasser, mais je ne te promet rien. » Vous avez raison : 110 ans… pourquoi pas et encore !
Je pensais parfois qu’il devait vous manquer et je me disais que j’aurais dû vous donner des nouvelles de lui. Mon père-poule et féministe, n’avait pas beaucoup d’amis hommes et pourtant il était si sociable et altruiste. Magnanime. Saluant tout le monde sur son passage sans faire de distinction. Il était un grand solitaire aussi, un esthète et je sais qu’il était fier quand il vous rencontrait. Vous étiez son ami de St-Adèle. Il a toujours rêvé d’être écrivain, mais il a été le pourvoyeur de beaucoup de monde et la sténographie a pris toute la place au bout de ses doigts.
Vous auriez pu venir le visiter. Il en aurait été ravi. Zut !!!!
Il est désormais dans la sève qui coule dans tous les sapins centenaire de Val David.
Je suis persuadée que lorsque vous croiserez un bon chien ou un beau cheval, vous le verrez.
Merci encore infiniment de votre mot si chaleureux et aimant à son égard.
J’espère que vous allez bien ainsi que vos proches.
Affectueusement.
Brigitte Mackay
St-Adolphe d’Howard
Jean Mackay ou le « daddy » de toutes.
Le « daddy » de notre amie Bidou n’est plus ! Le « daddy » roux, notre chauffeur du samedi. Combien de fois nous a-t-il déposées devant le Spot Bowling ou devant le Commodore y voir le dernier film d’horreur ou encore devant la porte de chez « Helen » l’anglaise qui tenait le comptoir à bonbons ou encore chez Bisaillon, notre monsieur Bizoun, pour y acheter des pétards à mèches et des cigarettes Popeye.
« Daddy », notre premier client des tombolas du samedi. Il faisait sonner les « cennes » de sa poche et s’offrait un petit gâteau sorti tout droit du four Easy Bake, une slush à la cerise ou un Pepsi sorti de notre « machine à fontaine ». Il ajoutait un pourboire que nous divisions à 3 ou 4.
Heureusement qu’il y avait Jean, les clients se faisaient rare !
Merci et adieu « daddy popsicle » Mackay.