IL Y AVAIT…
14 décembre 2012 | Poing-comme-net
Il y avait des illusions, du rêve et du vent, il y avait bien peu, si peu en ce temps-là, il y avait au matin du 25 décembre, des fruits, une orange, du raisin, une banane au fond du bas accroché au pied du lit, il y avait des illusions, des jongleries, par exemple cette riche marraine exilée qui, enfin, me reconnaîtrait et me gâtera un peu; il y avait tous les petits voisins, les enfants des riches, le fils du médecin, les filles du notaire, il y avait le chanceux fils d’avocat et son cadeau de Noël, de grand prix, sa luge avec coussin, heureux l’héritier du député et sa guitare hawaïenne, il y avait quelques privilégiés, il y avait la jalousie, un nouveau Noël et pourtant bien peu d’espoir, foin d’une vie nouvelle : rien ne va se passer, les routines des enfants-du-peuple vont se continuer; il y avait à l’église paroissiale et ce marmot moulé en série, blond, frisé presque nu dans une étable, au fond d’une grotte de papier mâché…
Il y avait eu… en février, la fête de la Saint Valentin avec nos découpés en carton bien rouge, les petits cœurs saignants, les moqueries aux amoureux collés du parc Jarry, des fauteuils du cinéma ou du banc du terrain vague, coin Jean-Talon, il y avait eu la Sainte Catherine et les papillotes de tire sucrée que maman savait si bien étirer, il y avait eu l’Halloween et nos quêtes aux portes allumées, nos sacs bourrés de friandises; là, c’était la fin de l’année presque, la naissance du rédempteur et la chorale de Sainte Cécile qui va entonner « Peuple à genoux…! »
Il y aura… veille de Noël, l’oncle cantinier du CPR et ses babioles, boîtes à surprise achetées des employés Noirs à sa Gare Windsor, colifichets, gris-gris surprenants, l’oncle riait et vidait lentement sa fiasque de p’tit blanc; il y avait devant le cinéma Plaza, la vieille bohémienne, son perroquet et ses cartes de « bonne aventure », mes grandes sœurs pigent dans la cage, s’esclaffent, amour, toujours, amour !
Il y a… à l’étage chez la voisine, madame Diodatti et son tricot à finir, cadeau unique, il y a aussi, troisième étage, madame Le Houillier et son mari incurable, « le p’tit Jésus va-t-il enfin le guérir? » Il y a, voisin bruyant, monsieur Laroche, Pierre de son prénom, et son Business College fermé pour la semaine des Fêtes, il y a le cordonnier Pasquale Colliza qui parle d’aller visiter sa tante riche à Miami; il y a, rue Bélanger, monsieur DiBlasio, et fleurs de papier pour ses comptoirs de fruits, il y a, rue Drolet, Frank Capra et ses neuves offres de carreaux de porcelaine en couleurs mirifiques; il y avait toujours, chaque hiver, les belles patineuses, champ du Shamrock, à l’ouest les stalles vides en béton du marché Jean Talon; au dessus du poste de pompiers, il y avait ma chère bibliothèque publique rue Saint Dominiqe, passé les usines de Catelli et de Coca-Cola, le Patro Le Prévost et ses équipes organisées pour le ballon-chasseur, le ballon-panier; il y avait le musée des « bêtes empaillés » à l’Institut des Sourds et Muets, rue Saint Laurent. Avenue du Parc, la gare des chemins de fer où l’on ira, Noël après-midi, regarder partir et arriver les voyageurs de toute l’Amérique du Nord; il y a qu’on rêve de partir, de s’en aller très loin, visiter des mondes moins pauvres et qu’on osait pas jouer les hobos, sauter les wagons de marchandise en vrac.
Il y avait… que, Noël pas Noël, en ce temps-là l’existence était chétive, maigre comme un clou mais qu’on se disait : « Il y a une justice, regardez, même lui, l’enfant Jésus, futur Christ sauveur de l’humanité, couché dans la paille ! Réchauffé par un bœuf et un âne !
Toujours très bon !!!
« Il y a une justice, regardez, même lui, l’enfant Jésus, futur Christ sauveur de l’humanité, couché dans la paille ! Réchauffé par un bœuf et un âne ! »
Un message subliminal pour nous faire accepter notre état de pauvreté. Le pharisien et les fables de Lafontaine sont toujours d’actualité.
Les pauvres ne sont plus les même et il y en a de plus en plus.