C’est samedi matin, on roule vers la gare des autobus où un minibus (que je raterai) conduira à Hull 35 écrivains vers leur Salon du livre. Raymonde conduit la Honda noire, j’ouvre Le Devoir et comme promis, je vois la page du Cahier-Livres qui m’est offerte. Je vois la photo de moi, au 1111 rue Berri devant le porche de ma vieille « École du meuble » où j’ai obtenu (en 1950) un diplôme de céramiste. Mon « chauffeur privé », Raymonde, m’écoute lisant la critique « dithyrambique », extrêmement louangeuse du journaliste Cornellier pour mon récit maintenant en librairie : « Anita, une fille numérotée ». Je suis bouleversé car Cornellier parle d’un chef d’oeuvre ! Rien de moins, alors, imaginez mon émoi. Soudain, Raymonde fond en larmes et se stationne.
Vous qui, ici, me lisez chaque semaine, sachez que les artistes —théâtre, peinture, danse, etc.— sommes fragiles. Que nous guettons avec appréhension les opinions critiques sur ce que l’on pond, que les blâmes font mal mais que les éloges, publiques et aussi privées —merci pour vos courriels— nous fortifient, nous stimulent aussi, nous encouragent à continuer.
Les mots chauds, si enthousiastes de Cornellier dans Le Devoir de samedi dernier, me paralysèrent, j’étais comme assommé et il m’a fallu 48 heures pour m’en remettre et, enfin, le remercier. À mon grand âge, on se pose des questions. Est-ce que j’ai toujours d’assez bons ressorts, assez de jus, pour encore savoir bien raconter un pan de vie. Avec « Anita… », un souvenir embarrassant de ma jeunesse ? Cette fois —est-ce mon cinquantième livre ?— puis-je narrer avec un bon talent cette brève histoire d’amour adolescent. Cette folle passion pour une jolie jeune Juive, blonde aux yeux bleus, rescapé d’un camp nazi, devenue étudiante en céramique avec moi à cette École du meuble ? L’éditeur (XYZ) a lu et vous a dit « Oui, on le publie » mais est-il épaté ou s’il veut seulement vous joindre à sa vaste écurie d’auteurs ? Le doute, ce maudit démon ! Voilà qu’un journal prestigieux titre : « Anita », c’est un chef d’œuvre ! »
Soudain, vous dégringolez dans les souvenirs d’un gamin de Villeray qui rêvait, hésitait —comme tous les ados—, devenir céramiste ou comédien ? Annonceur de radio ou… écrivain, quand il n’y a pas même un seul livre chez vous, quand les parents prudents s’inquiètent de votre avenir. « Un artiste dans notre famille, Seigneur !, il va crever de faim. » Vous, fils de petit restaurateur, vous savez bien le danger des illusions mais vous aimez tant raconter des histoires depuis celles (d’horreur) racontées le soir, tard, dans la chambre-double de vos cinq sœurs, les empêchant de dormir. « Marche vite dans ta chambre, mon escogriffe », me criait maman.
Et puis, un jour, cet hebdo de Villeray qui accepte vos premiers articles. Maintenant c’est l’hebdo d’ici qui accueille vos écrits chaque semaine : boucle bouclé ? Si personne n’aime ce que vous pondez, c’est la fin d’un rêve. Bien chanceux, voici que, 50 ans plus tard, ce Louis C. , jeune lecteur emballé, publie des éloges vertigineux et affirme « urbi et orbi » que cette Anita de vos dix-huit ans, eh bien, « c’est un chef d’œuvre » ! Je suis sur un nuage. Le lirez-vous ?
- Dossier ici sur « Anita, une fille numéroté »
- Critique de Louis Cornellier dans Le Devoir : La tragédie juive de Claude Jasmin
9 Réponses to “Ai-je publié un chef d’oeuvre ?”
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M. Jasmin,
encore et encore, vous mettez à nu vos sentiments les plus personnels. C’est là un signe évident d’authenticité! Votre Anita, une fille numérotée côtoie, dans ma bibliothèque, cinquante-trois autres livres d’un certain Claude Jasmin. Sans doute ne suis-je pas le seul à suivre votre carrière.
Toute œuvre artistique d’une vie (vous avez tout de même 82 ans, non ?) se butte à des hauts et des bas…votre style, vos tournures de phrases n’ont pas toujours eu le même fini. Toutefois, chapeau, car soutenu par votre longue expérience littéraire, vous avez peint d’un trait de cœur cet épisode bouleversant des premières années de votre âge adulte.
Avec le temps, la plupart des êtres humains se dépouillent, font le ménage autour d’eux et en eux. Sincèrement, le lecteur que je suis a apprécié le style alerte, sans artifice de votre dernière création.
Paru le 28 février 2013, votre Anita couvait en vous depuis si longtemps….Est-ce un chef-d’œuvre? Quant à moi, il restera un livre très important dans la production Jasmin. Il y a plus de 40 ans, La petite patrie nous avait accroché; j’avais bien ri et noté que votre alter ego avait demandé à sa mère de ne pas l’accompagner dans l’achat de vêtements, car ça fait fifi. Miroir de l’ado frondeur que nous étions tous un peu beaucoup.
Les saisons ont passé. Claude Jasmin préférerait-il se faire descendre par une critique empoisonnée? Sans doute, y a-t-il des critiques qui aiguisent leurs crayons…combien de vos livres ont-ils lus? Qu’à cela ne tienne, après la lecture de cinquante-quatre de vos écrits, je me permets de vous féliciter chaleureusement de ce petit bijou littéraire.
Sans doute me faudrait-il employer des termes savants pour démontrer la qualité (ou non) de votre dernier né. Non, j’ai tout simplement aimé. Pour ma critique positive, j’assume le terme téteux que certains pourraient penser à la lecture de mon appréciation.
“Ai-je publié un chef d’oeuvre ?”
Personnellement, je ne sais pas encore… :-)
Vous avez aiguisé ma curiosité à propos du livre « Elles ont fait l’Amérique ». Après avoir lu l’extrait de « Anita, une fille numérotée »,
je n’ai pu résister.
Je viens tout juste de me les procurer.
Pour l’instant je peux dire ceci: J’avais un budget serré mais maintenant j’ai serré mon budget! … :-D
Rien de mieux qu’un contexte littéraire pour pondre un jeux de mots.
Aĩe! Aĩe! Aĩe! Après avoir rephrasé ma dernière ligne j’ai « singulièrement » oublier de rectifier l’orthographe du mot jeu.
Texte décousu suite à la lecture de Anita.
Anita, une fille numérotée: votre exutoire
Votre blog, mon exutoire!
J’en profite, ici, pour faire une petite blague
à M. Jasmin. -Les marges sont intactes.- J’ai
noté quelques réflexions sur mon ordinateur et
je les copie ici. :)
J’ai entendu dans un film ce qui suit:
Les religions divisent les peuples et la
spiritualité les unifient.
Que de ravages fait au nom de la religion
au sein des peuples autochtones!
Duplessis et les orphelins internés.
Tous les marginaux étaient en dangers à cette époque.
Il s’en fallait de peu pour qu’ils soient qualifié de
fou.
Que d’églises bâties à l’aide des pierres
de monuments et bâtiments historiques détruits
parce que paĩen.
Tous ces comportements catholiques peu chrétiens.
Toutes ces règles et commandements étaient des mots
plein de sens mais pas pleinement vécus par ceux qui
les professaient.
Il ne faut donc pas s’étonner du comportement de nos
parents et ancêtres après tous ces lavages de cerveaux.
De lire votre Anita, c’est fou ce que ça remue dans mon
passé. Que je le veuille ou non, ces moments biographiques
me portent à la réflexion.
Les fous du style Hitler existent encore mais ils se cachent
et agissent dans l’ombre et sont responsables des fléaux
sociaux.
Et voila que je puis faire, humblement, un autre parallèle
avec ce Juif qui renie sa religion, ses croyances ancestrales.
Oh! Je crois que je le comprend, du moins une partie de ses
raisons. Si je l’avais rencontré avec mes quinze ans dans son
époque, je lui aurais tendu la main avec conviction et un
regard approbateur.
Marcel Cerdan, l’Amour d’Édith Piaf. Tant d’émotions.
Le snobisme sévit beaucoup chez les cabotins.
Oups, une faute de français!… :)
Pour les artistes, comment créer et produire dans un univers
politisé à tendance religieuse dégénérante:
« L’enfer est rouge et le Ciel est bleu »
Borduas, Duplessis… il ne m’en faut pas plus pour renforcir
mes convictions.
Page 71
Et voici un exemple d’hypocrisie. Les murs du Vatican sont
tapissés de nudités, les pièces garnies de sculptures
réalistes, mais le peuple ne peut exprimer les mêmes choses
sans danger.
Dans l’admiration que l’on éprouve pour un(e) artiste et ses
oeuvres rien n’est discutable et tout est ressenti.
La puissance des mots dans les souvenirs!
Ah, le statut social et les plus beaux chapeaux à l’église!
Page 82
Paul Dupuis et son articulation vocale de style British.
Encore, ici, le résultat d’un état religieux restrictif,
implacable et imbécile.
Ma perception de Jacques Normand: il a su ruer gentiment dans
les brancards.
Il aurait peut-être dû le faire, ça aurait diminuer de goût
de la crosse chez nos politiciens.
Ces caricaturistes, quels talents!
Un raté!!! Probablement qu’il n’avait pas trouvé sa voie.
Peut-être même qu’il ne l’a jamais trouvé!
Enragé contre Yahvé? Probablement plus d’avoir cru en son
existence. Je crois que l’être suprême ne peut être nommé
par l’homme.
La publicité de Brylcreem je me souviens des mots et de la
mélofie.Un exemple de lavage de cerveau.
Brylcreem, un tout petit peu suffira, Brylcreem, vous serez
élégant, Brylcreem, pour sûr vous raviera, vous vous brosserai
plus facilement.
Teilhard de Chardin interné par le Vatican. Très charitable
attitude prêchée par Jésus, je suppose. Un avangardiste
dangereux pour la doctrine du Vatican.
Page 140
Tant d’atrocités.
Un communiste, enseigner à l’université!!!!
Fatiguant pour le Vatican.
J’imagine que les deux frères Gravel quincailler de
Pointe-Calumet sont les descendants.
Obligée de se prostituer à Auschwitz ou bien obligé
de travailler dans une usine allemande, quelle différence?
Une femme qui a eu plusieurs mari, quelle différence?????
Le spectre de l’éducation religieuse.
Nous sommes loin de Jésus avec Marie Madeleine.
Quelle époque!
Belle histoire, triste histoire.
Texte bien construit. Pas de longueurs.
@M.Jasmin
Grace à vous, je comprends un peu mieux mon géniteur.
« Je suis bouleversé car Cornellier parle d’un chef d’oeuvre ! »
En effet! Il suffirait de l’étoffer, juste un peu, pour en faire un film.
J’espère bien qu’un cinéaste s’y intéressera de votre vivant!
Je vous envoie un texte que j’ai publié sur Vigile.net, Tribune libre.
Salutations.
Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 14 mars 2013