Nov 122015
 

 

J’avais cinq ans et je disais en novembre  : « J’ai tant hâte de revoir la neige » » À mon âge ? Eugh…non. La neige ? B’en… pas vraiment vraiment hâte !
À dix ans, je disais : « Viens neige première, belle neige toute neuve. Viens vite, je t’admire ». J’avais 80, il y a peu et je disais : « Neige ? Il y a pas urgence, maudite neige —pelle, brosse, gratte, charrue— prends tout ton temps, neige, on n’a pas besoin de toi, embarrassante neige. »
À huit ans, tuque et mitaines, bottillons et foulard, à genoux dans mon lumineux labyrinthe de neige, ô, le bonheur total en face du 7068 St-Denis ! Mais… À 77 ans, mal aux genoux, début d’arthrose, les pieds froids, les genoux tremblants, les doigts raides, le nez gelé, ô, zut, « va-t-en donc maudite neige, ne commence pas, va te cacher, retiens-toi, revire de bord, pousse toi au loin du nord, oublie-nous donc cette année, sale bête blanchie, hiver de merde ! »
À 12 ans, à genoux dans ma belle neuve luge, avec coussin bien bourré —cadeau de ma mémeille— glisser dans la cour sans cesse. Sur le blanc monticule bâti par papa ! Ah ! Le bonheur plein. Mais…hier, à mon grand âge, fixer l’eau du lac et l’imaginer bientôt tout métamorphosé, dur, glacé, cassant… cela va se faire, cela va s’accomplir, alors un goût d’aller marcher autour de ses rives.
A 15 ans, acheter —de secondes mains— des skis ! Assez de seulement glisser, enfant ! De patiner seulement. Oser se jeter, droit debout, sur deux minces planches, au vent en pleine gueule, comme on s’abandonnerait, complètement, si nous étions des oiseaux. Ou des anges.
Dès avant même 75 ans, très triste, ah oui ! Le coeur en compote, avoir remisé ses deux mêmes vieilles planches vernis et « bin égratignées ». Détester le froid. En lazy-boy, lire un livre sur de terrifiantes avalanches au sein de contrées lointaines. Ou, au contraire, lire un magazine aux pages glacées sur de chauds sites en zones ensoleillés, loin, en des pays tropicaux. Là où l’hiver est un mot vide de sens, vide d’images !
À trois ans, sur le dos, bien emmitouflé, étendu dans mon carrosse —ou ma sleigh—découvrir alors —oh chante Robert Charlebois : « les deux yeux ouverts bin durs »— oui, la découverte de mille milliers de jolis flocons qui atterrissent sur le balcon d’en avant. Si doucement que le bambin croit qu’il est monté par miracle au paradis promis !
À 33 ans, bien voir que les enfants grandis sont devenus des champions au paradis-des-planches, ici. À Ste-Adèle ou à St-Sauveur, à Belle Neige ou au Mont Olympia… et coetera !
À 84 ans, en mars dernier, visiteurs de Vaison-la-Romaine —mal vêtus, nos prêts de chauds anoraks— les mener derrière le Chantecler et louer cette calèche ancienne. Tirée par deux blonds percherons bien ronds. Nos visiteurs venus du midi de la France : « On n’a jamais vu tant de blancheur, de lumière, c’est tout à fait féérique ! » Ils s’extasient et à l’aéroport de Dorval, ils nous diront  : « Dans vos Laurentides, les Québécois, mais c’est Disneyland six mois par année, foi du Bon Dieu ! »
Rentrés, les pieds gelés, la guédille au nez, on se dit : « Sacrament, de la shnoutte avec leur Walt Disney, vite, des buches dans la cheminée ! »
Dimanche chez Tit-Guy Lepage, notre attendrissante éternelle Dodo gueulait à la télé « Maudite t’hiver ! », éloignée de son chic condo « in florida ». Croyez-le ou non, suis-je un masochiste ?, j’avais pourtant hâte de revoir ces foules bigarrées, trépignantes, joyeuses, aux couleurs chaudes, strier —souples et musclés— nos pentes d’ouate au blanc immaculée conception.
Amen !

  4 Réponses to “« MON PAYS C’EST (AUSSI) L’HIVER » (air connu)”

  1. Monsieur Claude Jasmin, vous êtes toujours un grand gamin. Vos mots déposés comme des flocons de neige sur des phrases glissantes me font bien sourire. J’aime beaucoup la nostalgie que vous nous permettez de recréer à notre guise. Vous utilisez un humour bien dosé qui ressemble à des clins d’œil lancé ci et là. Votre Dodo, votre Ti-Guy Lepage et vos sacrés Français, il y a une retenue dans tout ça, je sens que vous auriez pu vous payer la traite. Ah! et comme je vous connais, ce n’est que partie remise. Merci monsieur Jasmin pour ce beau texte qui nous prépare à affronter la belle saison qui ne devra point tarder. J’ai sorti ma tuque, ma crémone, mes botterlots et mes grosses mitaines et mon PAYS est à devenir. ;-)

  2. À 5 ans, la côte du voisin, en arrière de chez-moi, me faisait envie. Une grande partie déboisée avec la forêt pas très loin. Couverte de neige, c’était à faire rêver. Mais je n’avais pas le droit d’y aller. Alors, avec mon traineau, je glissais dans ma cour. À l’âge adulte, quel âge, je ne me souviens plus très bien, j’ai revu le champ du voisin et la petite pente de ma cour d’alors. Sur le moment, ahurissant! Bien sûr, avec ma grandeur d’adulte, les perspectives n’étaient plus les mêmes et mes rêves d’enfants en étaient écorchés.
    Je n’ai que 70 ans et pourtant je dis: C’est très beau l’hiver, quand, on a les deux pieds sur une bûche. en avant du poêle à bois.

  3. J’aimais beaucoup entendre Monique Leyrac chanter cette chanson

  4. Leur enlever le crayon à ces vieux de votre genre…Plutôt leur offrir une tribune, une émission télé genre  » ligue du vieux poêle « .
    Si vous avez peur qu’ils, elles radotent, ne vous en faite pas, les plus jeunes le font très bien. Ils passent en boucle à Tmep avec de la redite.
    Il y a au moins cinquante artistes du « bel » âge prêts à venir nous raconter comment c’était dans le temps. Sans histoire le peuple fera de l’errance.
    Vous Raymonde dont c’était le métier, devez avoir votre petite idée comment faire revivre la mémoire.
    Merci Claude de nous faire valser dans le temps ! Vous êtes comme une espèce de machine à voyager…dedans.

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