LE RÊVE PARISIEN ?
3 avril 2006 | 1-Tout, Poing-comme-net
Un certain David Homel, Québécois d’origine étatsunienne, déclare dans Le Monde de Paris que nos écrits littéraires « ne sont pas exportables : « trop familiaux, trop tournés vers nous-mêmes, trop provinciaux. » Des protestations fusent. Michel Tremblay, dramaturge, illustrant avec nostalgie son petit monde familial, le fait-il mentir, lui qui est joué dans le monde ? Pour obtenir Paris n’y a qu’à ne plus nous illustrer ? Évidence, Gilles Courtemanche racontant « sa piscine à Kigali » au moment du génocide, trouve un public immense. Yan Martel livre son expédition sur mer de l’Inde jusqu’à la côte mexicaine, succès mondial. Jean Barbe —« La fabrication d’un monstre »— a, lui aussi, arrangé un excellent roman se déroulant en Bosnie. Sur ce même sujet, Homel a signé un fort bon roman. Pour être lu à Paris, et ailleurs, faut-il exiler ses personnages, se déraciner, se mondialiser, « s’exotiser » ? Vaste question !
Ce rêve de Paris ? Une vieille affaire. Louis Fréchette jadis, Gaston Miron plus tard, affirmèrent que pour être lu à Paris, il aurait fallu que l’on adopte la langue iroquoise et que l’on soit traduit ! Un auteur belge (Simenon), ou de Suisse romande, ou Marocain (Ben Jaloum), tous s’installent carrément à Paris et deviennent des auteurs parisiens. Ah oui, rêver de Paris ? Comme des écrivains Canadians rêvent de Londres, ou de New York. Colonisation intellectuelle ? Oui. Cette « fatale attraction » conduit chanteurs, chanteuses, acteurs, actrices, dramaturges (Corneille, Lemay, Croze, Louis Jacques, etc, etc.) à la recherche fébrile d’une consécration extérieure, parisienne si possible.
Nous avons su le ridicule farouche combat d’un Lemelin, avec Alain Stanké en porte-queue, d’un Thériault, jouant chez Grasset « le sauvage », s’auto-sabotant, d’un Victor–Lévy Beaulieu chez Flammrion, et, vu son talent, ce fut hélas vainement. En 1960, Robert Laffont voulait, avec « La Corde au cou », me parrainer disant :« Seulement si vous venez vous installer à Paris, Jasmin. Autrement, non ! ». En 1980, l’éditeur feu-Yves Dubé, tenta aussi vainement de me faire reconnaître à Paris lors de « La Sablière, Mario ». Quand je publierai « Rimbaud, mon beau salaud », sujet bien peu québécois, je pus lire quelques louanges imprimées à Paris. Mais je décidais d’être reconnu ici, dans mon pays et au diable le « rêve parisien ». M’exiler ? Non, jamais !
À son tour, le jeune chroniqueur Cassivi commenta « L’affaire-Homel ». Il dénonça « un complexe d’infériorité » (!) chez nos écrivains pour expliquer ce tollé anti- Homel. Il ira jusqu’à faire allusion à nos nombreux analphabètes comme cause de l’indifférence de Paris à notre égard ! J’ai préféré son allusion aux milliers de romans publiés chaque année à Paris. En effet, être réaliste c’est comprendre qu’il y a une montagne d’aspirants à cette reconnaissance parisienne. Un hymalaya de romans nouveaux à chaque septembre, mois de la rentrée littéraire. Alors plein de Nelly Arcand qui se jettent dans la semi-non-fiction, plus ou moins « cochonnes » et l’on voit défiler chez des Thierry Ardisson une fraction infime de ces coureurs de notoriété.
Ici même avec désormais plus de 50 éditeurs —il y en avait cinq en 1960 !—, avec tous ces jeunes mieux instruits, des douzaines de bons romans se publient au Québec chaque année. Qui les lit ? Et plein de refus, de manuscrits rejetés, injustement souvent sans doute. Le peloton des élus est très mince, de ceux qui parviennent à un lectorat mieux que confidentiel. C’est que, de nos jours, les bonnes zistoires pleuvent. À la télé aux canaux multiples et à jet continu ! Et aux cinémas. La ration (le besoin ?) de fiction (de divertissement ?), est vite et efficacement comblé en 2006 ! L’époque des illustres feuilletonistes populaires —Dumas, Balzac, Hugo, Zola, etc— est à jamais révolue.
Ici, d’excellents romans —j’en lis— restent peu lus et donc peu publicisés forcément. Plein d’écrivains au fond en sont rendus à pondre des zistoires en espérant le cinéma ou la télé. Eh oui, ils font imprimés en fait des « scénarios » en devenir, moi comme les autres. Ils sont tout disposés à adapter eux-mêmes leurs récit. Le livre comme « projet visuel » quoi ! Le cher Homel aurait mieux fait de se taire car il n’en va pas autrement au cœur de Paris. Comme à Londres, à Rome, à New York, allons. Dans le monde occidental, partout, des paquets de manuscrits gisent au fond des caisses chez tous les éditeurs. Ici? Même situation cher David, en chiffres proportionnels. Le fait têtu est là : le monde actuel lit de moins en moins… des romans. On lit plus que jamais…sur Internet. Les gens, cher Homel, ne lisent pas des romans à Montréal comme à Paris. Est-ce trop simple ?
Merci Monsieur Jasmin, de n’être pas “déménagé” à “PÂRIS”
Quelle perte cela aurait été pour nous. Tous ceux qui veulent lire, chez nous, lisent. Les moins fortunés peuvent se payer la bibliothèque du quartier, que diable.
Encore une fois merci d’être avec nous, chez-nous.