« CONTRE » UN ROBERT LEPAGE ?
7 juin 2007 | 1-Tout, Poing-comme-net
Immense snobisme à secouer un petit brin, oser chicaner notre grand « génie des planches ». Une honte, m’sieur. Au sujet de Lepage, il n’y a plus qu’aveuglement et aucun droit à la critique quand LA NOTORIÉTÉ sévit. Quelle audace de tenter une opinion contraire à une mode, à un courant, à une effervescence bien planifiée, à u ne unan9mirté d’un milieu. Celui des « théâtreux ». J’ai lu de timides bémols dans un quotidien, aussi de légers agacements dans un autre journal. Reste une complaisance nuisible, une prudence mal venue. Lepage, mieux que ses applaudisseurs fidèles et aveuglés -je gagerais là-dessus- sait fort bien l’inachèvement, voire les lourdes lacunes de son dernier show, « Lipshinc ».
Pour $ 50.00, entraîné par une mordue de nos scènes (ma blonde, l’ex-réalisateure de dramatiques-télé) j’ai mis mes fesses cinq heures -oui 5 !- durant, Salle Pierre-Mercure. SI, en sortant, vous émettez de graves réserves, on vous dira : « C’est un work in progress ». Mon cul ! « Lipshinc », un mélodrame patent s’embourbe dans son treillis de courtes scènes décousues. Jouant la chic carte du cosmopolitisme, vous serez accablé, comme moi, de devoir ne regarder très souvent qu’une machine à sous-titres en petites lettres rouges. Quelle plaie. Pour vous reposer de tant de bête lecture, il y aura sur scène, le défilé des machinistes et techniciens. On se croirait chez Ikéa, ma parole, l’on s’active en pleines lumières et très très fréquemment à déplacer des « sarnias-bridges », appareils à tuyaux métalliques sur lesquels on greffe du mobilier, des lampes, des rideaux, ders écrans. Ces incessants et laborieux déménagements grugent davantage de temps que les propos du scénario de Lepage.
Comme tout le monde de cette planète-théâtre, j’ai admiré souvent les trouvailles de l’animateur, certaines brillantes conceptions visuelles avec « Plaques tectoniques », « Les sept branches… », » La trilogie… », « Les aiguilles… », ou « Projet Andersen », il n’y a pas bien longtemps. Robert Lepage s’arrange pour confectionner ses spectacles, après des réunions (brain storming) où des camarades « anonymes » se répandent en suggestions libres. Indubitablement il a le don des images. Aussi celui de métamorphoser des objets usuels en symboles parfois captivants. Il mérite tout à fait cette réputation désormais mondiale. On a bien le droit de questionner sa vaste entreprise, son projet multiforme, son besoin « scénographique » qui évite la pensée profonde, ce qui est le monde du véritable dramaturge. Le riche et puissant monde de Shakespeare à Berthold Brecht. Lepage, il le sait bien, n’a rien d’un Pirandello ou d’un Lorca. Lucide, il doit bien se voir comme un montreur, un illustrateur avant tout, théâtre de marionnettes. Sans fils, sans tiges (de Java), ses effets visuels sont d’un magasin. On y fait des trouvailles étonnantes si on sort de l’un de ses shows (c’est le bon mot) sans gagner jamais rien de profond humainement. C’est avant tout seulement un divertisseur. Et surdoué. Ce n’est pas rien et on peut comprendre ses grands succès, que ce soit à Tokyo ou à Berlin. Son « cirque n’ennuie pas d’habitude. Cependant avec ce « Lipshinc » Lepage atteint ses limites. Je m‘y suis ennuyé ferme. Dorénavant, s’il est l’ambitieux normal que je crois, que je souhaite, il devra faire machine arrière. Le mot « machine » s’impose plus que jamais ici.
Le théâtre qui compte baigne dans des eaux plus riches sur le plan littéraire. Le théâtre important ne peut se contenter d’une horde de déménageurs qui se bousculent pour faire croire à un wagon de métro ou à une cabine d’avion; allons ! La vraie dramaturgie ne supporte pas de nous river constamment à décoder des lignes de texte sur une patente lumineuse; allons !
Cette longue soirée à attendre que les 18 machinos en finissent avec « studio, appartement, resto, etc. », à guetter trop souvent les mots traduits qui circulent sur le plancher, m’a plutôt assommé. Foin des thuriféraires zélés ! Qu’il se le tienne pour dit : ses spectaculaires « essais » ne survivront pas bien longtemps. Lepage risque d’être dépassé par quelques patenteux doués qui voudront bientôt rivaliser d’astuce machiniste avec lui. Un tel concours (c’est commencé d’ailleurs) -de quoi?, de performers- conduira à une surenchère de bébelles. Conduira Lepage aux cabarets géants -show time- qui s’installent un peu partout au riche monde du jet set. Celui, léger, folichon et commercial, des casinos, des stations balnéaires. Bien entendu, ceux qui comme moi osert critiquer pareille démarche (que visuelle) vont passer pour les boudeurs et des jaloux mesquins. Laissons dire. Il y a que j’ai trop souvent aperçu de vives lueurs de vraie création, solide, parmi ses jeux brillants et que je souhaite voir ce concepteur hors du commun cheminer en meilleure matière. Ou bien Lepage, me lisant par hasard, m’enverra paître malgré mon estime -son droit- ou bien il va réfléchir et puis foncer courageusement dans une solide dramaturgie, loin des bidules flashés. Ses talents évidents méritent qu’il tourne maintenant le dos à seulement « l’épate ». Nous allons au théâtre pour rire parfois, (ô Molière !) aussi être humanisé davantage, pour réfléchir à la condition humaine.