UN MONDE MARCHAND HUMAIN !
17 juin 2007 | 1-Tout, Poing-comme-net, Souvenirs
De 25 à 55 ans, j’ai vécu dans un quartier un peu bizarre. Pour m’accommoder en n’importe quoi, il n’y avait aucun magasin proche de chez moi, rien. Qu’un lotissement de bungalows et de cottages. Il fallait me rendre, en voiture, à un centre commercial -Salaberry dans Bordeaux. À 56 ans, déménageant rue Cherrier, durant une décennie, je fréquentais la rue Roy et de trop rares magasins à dimension humaine -un barbier, un cordonnier, une petite épicerie. Dix ans plus tard encore, à Outremont, je fais l’heureuse découverte d’une sorte de village-en-ville. Services de proximité et nombreux magasins « humains », rue Van Horne, rue Bernard et « chic » rue Laurier. Ma joie alors. Débarrassé de ce centre commercial où aucun marchand(e) ne vous accueille en ami, ne vous sourit, ne vous reconnaît, où l’on se sent un « étranger », un anonyme client. Enfant, adolescent de Villeray, j’ai connu le monde des marchands humains. La vie chaleureuse. J’entends par là, des lieux où l’on a un nom, un visage reconnaissable, une personnalité. Rue Bélanger, rue Jean-Talon, les petits marchands nous parlaient, prenaient le temps d’échanger des propos -actualités chaudes, météo, la bonne santé.
Sainte-Adèle, P.Q. ? Voici, avant-hier, ma compagne-de-vie qui revient de commissions, le sourire tout lumineux. Elle me dit prendre conscience -de nouveau- du bon bonheur de fréquenter des petits commerçants. Elle me raconte le bon accueil du bijoutier jovial pour le modeste achat d’un simple bracelet de montre. Du marchand de saucisses et fromages, rue Valiquette lui aussi, où elle a pu jaser un brin d’une charcuterie diversifiée. Du boulanger aux chaudes brioches bien causant. De la couturière -et modiste à l’ancienne- dans son sous-sol lumineux, toujours jaseuse. Enfin du cordonnier pas moins jaseur et qui va lui commander des sandales « orthopédiques » … pour moi. Bref, elle était enchantée et me déclarait : « Claude, voilà ce qu’on ne trouve pas en grands centres commerciaux à vastes parkings, un zest au moins d’humanité entre l’acheteuse et la vendeuse, une bonhomie indispensable si on attache un peu de prix aux relations « humaines-entre-humains ».
C’est vrai. Ce jour-là, à mon tour, j’ai pris encore mieux conscience de cette grande valeur ajoutée -à son environnement- quand on habite un quartier, un village, un lieu où l’on peut encore faire ses courses chez de petits commerçants. Il y a une vaste quincaillerie fraîchement installée à la sortie du village, mais il y a aussi, depuis si longtemps, la chère vieille quincaillerie des Théoret, père (décédé, que je connus) et fils. C’est un magasin rempli de nouveautés (avec services Radio-Shack) et aussi de vieilleries difficiles à dénicher. J’y ai parfois acheté des outils utiles et antiques de système. Un personnage, ce Théoret, très fin causeur, malin, spirituel, farceur ! Et qui , hélas, a des ennuis de santé ces temps-ci. À chacun de mes achats c’est le tir vif de nos facéties communes. Le proprio a su communiquer à ses employés ses façons de vendre en toute gaîté. C’est formidable. Je sors d’un tel commerce le coeur léger et le sourire au bec. Y acheter une bricole n’est plus une triste corvée mais un balade amusante.
Ces manières joyeuses me font me souvenir, enfant-à- voiturette, de ma mère. Dans les années 1930-1940, maman aimait bien « barguigner » les prix partout, chez l’épicier Turgeon comme chez son cher boucher « messieu » Bourdon -qui existe encore à l’ombre du métro-Jean-Talon, rue Chateaubriand. Ce dernier, aimable, me donnait souvent des os pour que je puisse m’en faire des « claquettes ». Hélas, ma mère s’en servait d’abord pour « féconder » ses soupes !
Au centre commercial, au méga-marché, en grande épicerie géante, pas ces « bonjour », pas de « comment ça va ? », c’est les comptoirs alignés -certes bien garnis- et une solitude; c’est le « fais ton choix, prends ce qu’il te faut, jette ça dans ton caddy et passe vite à la caisse ». Pas de « merci », ni « au revoir ». Même le jeune wrapper n’a pas le temps de te sourire. Au suivant !
Au village -cerise sur ce gâteau-, va s’installer très bientôt, toujours rue Valiquette, ce comique de maraîcher rondelet avec, au bord du trottoir, son modeste comptoir de légumes et fruits frais. Pas « de la saison », du jour ! Un bonhomme tout heureux du chaland amusé qu’il apostrophe de galéjades candides. Un autre grand bonheur.
Bien entendu, en grandes surfaces on trouvera parfois de bons prix, on trouvera plus grande variété mais jamais on y trouve de ces marchands qui vous reconnaissent, qui vous questionnent, qui vous donnent de leurs petites nouvelles -« J’ai subi une grippe atroce cet hiver, un long mois et demi », et reçoivent les vôtres avec curiosité -« dites-moi que le vieux jardiner Dédé est mort, pas croyable, il semblait encore si alerte ! ». Vous ne venez pas seulement d’acheter des fraises ou du maïs, vous venez de rencontrer une personne humaine. Cela n’a pas de prix, pas vrai ?
Comme vous avez raison.La dépersonnalisation est une véritable maladie. On la confond avec la politesse. Sous prétexte de créer une distance entre le client et le commis, on a simplement gommé l’humain. Dans ma petite ville du nord, je vais au Mc Do, et les élèves qui le jour,me sont familiers mais respectueux , deviennent des robots : la commande chez Mc Do, c’est du sérieux! Comme si le fait de créer un fossé obligé entre les gens allaient dissimuler les travers nombreux du “capitalisme de masse” . Vous avez raison. Soyons humains, résistons à cette standardisation des rapports humains! Donnons-nous comme défi de prendre des nouvelles de cette dame qui nous reçoit chez Wal-Mart ! Elle me lance un bonjour obligé? , je lui répond du tac au tac et je lui pose la question : “Vous allez bien aujourd’hui ? “On ne sait jamais ,derrière chaque associé(e) se cache peut-être un être humain …
Robert Bouchard
En Côte-Nord