UN RÊVE QUÉBÉCOIS: PUBLIER À PARIS
29 juin 2007 | 1-Tout, Lectures, Poing-comme-net
Nelly Arcand (Putain et Folle) publie ses déboires avec son éditeur parisien. Il lui refuse mordicus « gougoune », « débarbouillette », veut lui imposer « une cuite » pour « prendre un coup » et « haut débit » pour « haute vitesse », etc. La Nelly chiale, en est enragée même. Voilà qu’elle admet que 80% (je dirais 90 %) de ses romans imprimés en France se font expédier dare dare pour la vente au Québec. On le savait. Même chose pour un Godbout. Et d’autres aussi. C’est le rêve bien connu des écrivains d’ici : « La France chose, hum ! Paris chose ! », la consécration « littéraire » souhaitée. Tant d’autres rêvent, eux, à New York, un bien plus grand marché. De là tous ces prénoms in english dans de récents romans québécois et ces titres « americans ». Un colonialisme navrant, non ? Tout récemment, des écrivains hors-France réunis braillaient et plaidaient lamentablement : « Assez du parisianisme ! Place à la reconnaissance des écrivains francophones hors-Paris ». Ils protestaient contre le silence, la négligence envers leurs ouvrages. La non-notoriété automatique si vous écrivez loin de Paris, loin de la France. Mais oui, il y a une réalité incontournable, il y a un fait très têtu, pas moyen d’échapper à cela : la France est un pays « bien peuplé », 55 millions d’habitants ! Gros marché. Il y a une force incontournable : Paris est la capitale des écrivains qui écrivent en français. « L’établissement » littéraire néglige les bouquins écrits hors ses « illustres murs ». Rien à faire et ça ne changera jamais.
J’avoue bien franchement, pas moins complexé que quiconque, avoir tenté parfois de me faire publier là-bas. Mais je suis un inconnu total en France, hors un petit cercle québécophile, même si je suis un des écrivains parmi les mieux connus au Québec. Une réalité irréfutable. J’ai donc appris la futilité de ce rêve : on m’aurait imprimé là-bas mais mes livres auraient été « chippés », illico, ici. Claude-Henri Grinon écrivait jadis dans un de ses pamphlets -Valdombre, le lion du nord-« Si Louis Hémond du très célèbre « Maria Chapdelaine » avait été non un Français mais un Québécois, son fameux roman aurait été ignoré totalement en France. » Vérité cruelle, hélas !
C’est un sujet sur lequel j’aime revenir. Mais il y a des exceptions à cette règle fatale : un succès inouï se forme en ce moment pour un essai de Normand Baillargeon : « Petit cours d’autodéfense intellectuelle ». Le « rêve » se concrétise pour un des nôtres mais on va attendre longtemps avant que cela se reproduise. Vous voulez gager ?
Coup d’épée dans l’eau donc que ce regroupement de braillards ? Oui. Tenez, naguère l’éditeur Robert Laffont fit de frénétiques et risibles tentatives. Efforts qui furent vains, hélas. Ni « La corde au Cou », ni « La petite patrie », immense succès ici, ni « La sablière » (pourtant prix France-Québec) ne purent obtenir la moindre visibilité, la plus petite promotion à Paris. Pour mon « Rimbaud, mon beau salaud », très louangé ici, un respecté critique des Nouvelles littéraires, Cornevin, s’agita fort en sa faveur à Paris. Vainement encore. Il n’y a « de bon bec » que chez les Français de France. Les succès des célèbres étatsuniens, eux, gagnent sans cesse le gros lot publicitaire, c’est un autre colonialisme bien connu.
Que je vous raconte, c’est si comique et si humiliant : une bonne année, feu Roger Lemelin se démena follement pour un peu de reconnaissance à Paris. Membre « honoraire » du Prix Goncourt, mon Lemelin invita aux frais de La Presse où il trôna un temps, tout le gang parisianiste. Où ? Au très chic Ritz-Hôtel de Montréal. Imaginez la facture ! Malins, les Français agitèrent des hochets et on vantait un Roger Fournier, puis un André Langevin, surtout un Hubert Aquin, « Neige noire », édité avec permission de Tisseyre, par, mais oui !, Les éditions La Presse. Les fiers voyageurs firent donc naître des espoirs et nos petits potentats « du milieu » s’agenouillèrent volontiers.
Je fus l’un des auteurs « indigènes » invités au faste banquet du Ritz. À la table garnie de la célèbre « Sole de Douvres », le met officiel Goncourt », avec quelques rares protestataires -devant tant de lècheculisme, on décida carrément de dénoncer les flagorneurs à « voyage payé ».
Aquin ne gagna pas à ce « raid » lemelinesque et loufoque. Utile de dire que dans La Presse on nous fustigea le lendemain en nous traitant de « sauvages », de mal élevés ». Cette farce tourna donc court et un Français-de-France remporta le prix cette année-là, c’était prévu. Notre aplatventriste Roger Lemelin en fut quitte -gros-jean-comme-devant- pour ses énormes frais.
En somme Paris restera fermé et longtemps aux « autres ». Nelly Arcan devra corriger, pour Le Seuil, sa copie québécoise originale et insupportable.