« MON » PIERRE BOURGAULT
7 septembre 2007 | 1-Tout, Lettres ouvertes, Poing-comme-net, Portraits, Requiems, DEVOIR DE MÉMOIRE
« Moi on ne m’aime pas, madame, on m’idolâtre ou on me hait », voilà ce que disait Bourgault à l’auteure Francine Allard. À la suite de son dévastateur rejet par les chefs péquistes de René Lévesque, j’avais revu Pierre une fois. C’était rue Saint-Denis par un soir d’hiver, le croisant, il ne me voyait pas, visiblement, il ne voyait personne à cette triste époque.
Je découvrais sur ce trottoir, non plus le prodigieux orateur avec qui j’avais grimpé sur des hustings mais une sorte de vagabond. Démarche trouble, yeux rougis, regard absent, il fonçait droit devant lui dans un vent glacial, dans une neige tombant maigrement, un « soir d’hiver » nelliganien. Cette vision me rendit très triste; on disait que l’ex-chef du RIN, solitaire et dédaigné, dérapait en paradis artificiel. Rumeur ?
Un peu plus tard, il obtenait enfin un poste payé « à jetons de présence » pour le prestigieux Musée des Beaux-Arts et on colportait qu’il fut « recommandé » par nul autre que Robert Bourassa, un adversaire.
En 1969, l’encore chef du RIN -pour peu de temps- me rencontrant, square Saint-Louis, s’écria : « Mon salaud de Jasmin ! Judas ! » Enragé, il passa vite son chemin. J’avais mal, j’aurais voulu discuter, le convaincre peut-être… Pierre avait donc su, qu’à mon tour, j’avais participé à la fondation du neuf mouvement indépendantiste, le MSA du chef charismatique. Puis, le parti de Lévesque mis au monde, avec grand vent dans ses voiles, Pierre allait dissoudre le Rassemblement et joindre « le rassembleur ».
Comme Jacques Godbout, jeune étudiant en quête d’argent, Bourgault fut soldat. Du Canada ! Mon refus viscéral d’enrôlement quelconque et ma haine des uniformes… j’étais étonné. Besoin de servir, hum, de dominer ? En caporal, en colonel ? Ou bien un militarisme « d’occasion » (pardon Gabrielle Roy) pour un petit salaire ?
Lui acteur, régisseur ? En effet, il y eut un tout jeune Bourgault en aspirant acteur. Persévérant, aurait-il fait un comédien célèbre ? Sans doute. Par exemple, il obtint un petit rôle tourné en Gaspésie occidentale, aux Méchins, dans un feuilleton-jeunesse de Radio-Canada à l’ombre des Gisèle Schmidt et Gilles Pelletier.
Et puis… j’étais jeune scénographe, je le croiserai en « régisseur » de plateau vigilant, pour la même société fédérale. On le disait « fendant », faisant exécuter minutieusement les ordres de la régie. Mais je savais bien que le rôle d’un régisseur efficace se devait d’être autoritaire. Sinon… la pagaille !
1961. Voici mon Bourgault installé par Gérard Pelletier qui vient tout juste de s’engager à « La Presse » pour combattre le tout neuf « Nouveau Journal » de Jean-Louis Gagnon. Nouvelles rencontres fréquentes alors puisque Pelletier m’a dit « oui » en critique d’art. Bourgault militait maintenant dans un mouvement fondé à Morin Height : le Rassemblement. Les aînés sourient, songent à de défunts mouvements du même genre : « Jeune Canada », « Bloc populaire », etc.
En somme, pensent « les vieux », « une autre affaire sans avenir aucun ». Un midi, le jeune directeur du cahier à « rotogravures » s’amène guilleret dans notre salle de rédaction avec, au bout des bras, deux pages. Illustration d’une immense foule Pace du Vatican, à Rome. Hilare, il proclame : « Voilà ce à quoi je rêve pour le RIN, des masse rassemblées ! »
C’est cette année-là, qu’embrigadé volontairement par le penseur André D’Allemagne, j’accepte de jouer les orateurs pour ce RIN dont je n’ai même pas la carte de partisan. Un soir, à l’étage d’un traiteur de la rue Fleury, je lis au micro mon dix pages de texte. À la fin, Pierre m’accroche : « Claude, tu l’as pas. Faut pas lire. Faut parler librement. Tu as entendu, je viens de gueuler une heure avec dix lignes de notes sur mon paquet de cigarettes. On fumait beaucoup en ce temps-là. Voilà ce que tu dois faire ».
J’avais appris une bonne leçon. Surtout je découvrais « un culotté » bizarre, à la parole vigoureuse, capable de soulever une foule. Bourgault, en effet, faisait « le fendant » sans vergogne. Je venais de l’entendre fustiger les nôtres (et lui avec) : « Nous sommes un peuple de mous, de soumis fainéants, de peureux. Nous sommes des chiens couchés, des frileux qui avalons à genoux toutes les humiliations sans broncher comme de misérables colonisés… », etc. Je n’en revenais pas, ses auditeurs l’applaudissaient comme un tonnerre ! Rien à voir, on le voit, avec nos divers chefs actuels cherchant le consensus, soumis aux sondages, prêts sans cesse à louvoyer.
Catastrophe pour lui : « mon » Bourgault règnait tout seul au domaine de l’indépendantisme quand l’ex-ministre libéral, le plus populaire de la Révolution tranquille », le très charismatique René Lévesque, chassé par son chef Jean Lesage et ses sbires prudents, décide de joindre le combat pour la « cause sacrée ». Fin du royaume de Pierre. Ce sera la farouche et stérile lutte entre un puissant démagogue (au sens strict) et un calculateur ultra démocrate. On sait la pénible suite. Hâte de lire maintenant cette première biographie sur Pierre, que l’on dit « minutieuse », signé Nadeau.