LETTRE À PIERRE FOGLIA
22 janvier 2008 | 1-Tout, Lettres ouvertes, Poing-comme-net
J’ai souvent vanté, publiquement, vos bons talents de chroniqueur de la vie quotidienne. Foglia, votre immense public est garant de cette amusante faculté de jacasser avec esprit. Mais voilà qu’un bon matin récent, purisme étonnant chez vous, vous joignez le peloton des affligés de notre français québécois.
Maudit verrat qu’on parle mal ! Tautologie ? Évidence ? Personne d’un peu instruit ne va vous contredire, j’en suis. Bon, on parle pas bien pantoute. L’élève et aussi sa maîtresse d’école et les parents aussi bien sûr. On est bien d’accord. Mais c’est bien court, de l’ordre du simple constat. Ça crève les… oreilles. Mais oui. Je viens pourtant vous implorer de ne jamais oublier les racines de ce mal-parler, de ce mal-écrire aussi. On lit là-dessus que ça va mal aussi aux États-Unis, en France aussi. Partout alors? Mais, ici, au Québec, il y a des faits têtus qui ne font qu’augmenter, encombrer, cette situation apparemment universelle : les jeunes s’expriment mal.
Ne jamais l’oublier : le français au Québec a été durant des siècles une langue « secondaire », sans importance. Diminuée et méprisée. L’outil des pauvres, des dominés, de ceux qui ne contrôlaient rien. En dehors des rares esprits forts - les Buies, Asselin, Fournier, etc. - le peuple de colonisés que nous étions n’était jamais stimulé sur le sujet de la langue française. Pierre Foglia, vous avez bien que nous venons d’une majorité de paysans pauvres, de cultivateurs archimodestes, d’ouvriers souvent illettrés quand ce n’était pas des analphabètes.
Les temps ont changé, c’est vrai, mais nous traînons ce vilain héritage et très visiblement. Mon père, fils d’habitant, disait toé pis moé. Je ne reprocherai à personne de vouloir corriger nos lacunes ou de souhaiter du changement. Je reprocherai toujours à ces surveillants bien intentionnés de jouer les amnésiques. Dès la défaite (prière de ne plus dire la conquête) de la Nouvelle-France, notre langue française était condamnée. Sans la très grande peur de nos conquérants face aux patriotes « indépendantistes américains » qui rôdaient à nos frontières, les victorieux Anglais nous auraient menés, et rapidement, à la totale assimilation, cela est sûr et certain. Fini le français en Amérique du Nord! Nous parlerions tous l’anglais aujourd’hui. Donc, le peuple Québécois parle français, un certain français, réalisé. Ce « miracle » étonne absolument les visiteurs de l’Europe, surtout de la France mais… il n’est pas pur. Il serait étonnant qu’il en soit autrement, Pierre Foglia. Vous, fils d’émigrant italien exilé en France, qui vivez au Québec depuis si longtemps, je vous implore de ne pas oublier cette histoire lourde, difficile, fragilisante. Les racines de notre mal.
Sans cesse il y a eu des tentatives de nous diminuer, de nous diluer; je gage que vous connaissez bien ces épisodes de racisme, ces efforts de francophobie pure. Tout cela ne faisait rien pour valoriser le français. Tant des nôtres se sont carrément assimilés, hors les frontières québécoises et aussi à l’intérieur du pays. Le speak white d’il n’y a pas si longtemps dans le grand Montréal -où vit la moitié des Québécois- fut perçu par plusieurs non pas comme une insulte mais comme une simple et fatale réalité. Triste vérité !
Il y a eu progrès depuis la vitale loi de Camille Laurin et bien plus nombreux qu’on pense sont ceux, mieux instruits désormais, qui s’amusent simplement du jargon des « Têtes à claques », une parlure qui fait rigoler la France. Ainsi, notre pauvre langue maternelle, le joual, devient, mais oui, comme un exotisme que nous chérissons! Eh oui, nous gardons une sorte d’affection pour ce patois. Patois que, en passant, vous faites bien d’utiliser vous-même à l’occasion, une couleur ajoutée fort sympathique! Tout cela dit, cessons l’accablement et le masochisme, évitons de jouer un noir fatalisme à la mode du jour. À mesure que, collectivement, nous reprenons confiance en nous, il y a nette amélioration.
Déjà, il arrive assez souvent, lunettes noires enlevées, que nous nous surprenons d’entendre un peu partout, dans la rue ou dans une cour d’école, un bon niveau de français parlé et écrit; cela même dans le modeste monde des ouvriers. Facile de vérifier, de comparer et d’apprécier les progrès si on examine des documents d’archives -sonores et visuels.
Nous émergeons davantage chaque jour de la noirceur culturelle historique. Celle d’un triste passé relativement récent. D’avant 1960. Époque bien connue quand tous les Canadiens de langue française étaient perçus par nos bons maîtres anglos en porteurs d’eau et scieurs de bois. Allons, admettons-le. Même s’il y a certainement place pour davantage de progrès. Vive l’espoir! Sus au pessimisme ambiant ces temps-ci.
Comme vous monsieur Jasmin j’ai lu Foglia et j’ai été un peu…disons contrarié, il me semble que depuis quelques années le français parlé s’améliore, je ne parle pas du français que les jeunes ados ‘baragouine’ et que l’on a toutes les misères du monde à comprendre mais de la population en général, enfin………..pour ma part j’essaie de faire attention, c’est par l’exemple n’est-ce-pas!!!
Bonne journée à vous!
“Nous émergeons davantage chaque jour de la noirceur culturelle historique.” (!)WOW! Nous sommes en 2008, M. Jasmin! De quelle “noirceur” parlez-vous donc, alors que depuis 50 ans les créateurs québécois, et vous êtes bien placé pour le savoir, voient leurs talents reconnus mondialement dans tous les domaines?
Il est vrai que la “Terre promise” , pastiche de l’abbé Groulx, (…perçus par nos bons maîtres anglos en porteurs d’eau et scieurs de bois), est encore lointaine, mais patience… car, “nous sommes fils déchus de race surhumaine” comme le clamait ce bon vieil Alfred en 1940!
Lettre ouverte à Paul Desmarais dans Vigile.net | Le pays que vous nous empêchez de créer | mardi 22 janvier 2008
Monsieur Desmarais,
Le 25 septembre 2005, l’écrivain Claude Jasmin vous a écrit pour vous faire une demande pleine de bon sens. Il vous a pressé d’ajouter à l’équipe éditoriale menée par le fédéraliste-à-tout-prix André Pratte, un ou une éditorialiste indépendantiste par respect pour plus de la moitié des lecteurs et des lectrices de La Presse qui ne sont pas fédéralistes. Avec sa verve habituelle, l’auteur de La Petite patrie apportait des arguments économiques qui auraient dû vous faire réfléchir : n’aviez-vous pas peur de perdre des lecteurs incapables de supporter plus longtemps les positions politiques pro-Canada ou anti-souverainistes de la page éditoriale et des chroniqueurs ! D’autant plus que ces lecteurs pourraient être attirés par la créativité que démontrent les reportages fort pertinents du principal concurrent, le Journal de Montréal, sur la langue parlée dans les commerces de Montréal ou sur les valeurs des différentes générations au Québec.
Claude Jasmin n’a pas su vous toucher. Plus de deux ans plus tard, il n’y a toujours pas d’éditorialiste ou de chroniqueur souverainiste dans votre journal de la rue Saint-Jacques. De plus, comme le soulignait Jasmin, un dosage savant des lettres de lecteurs ou des libres opinions peut sembler montrer un peu d’ouverture mais ce n’est qu’une fausse apparence car la proportion est à 7 contre un. [...]
Mais Claude Jasmin n’est pas naïf et s’attendait à votre non-réponse. L’écrivain prolifique sait que La Presse et les autres journaux de Gesca sont pour vous un instrument puissant d’action politique. A propos de La Presse, sur la question des gestes de souveraineté et du français parlé dans les commerces de Montréal, votre investissement a donné un haut rendement. Vos employés se sont surpassés. Ils étaient tous en mission.[...]
Robert Barberis-Gervais, Marie-Victorin, 22 janvier 2008
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