LE RETOUR DE JAMBE-DE-BOIS !
31 janvier 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
La dame chic sort du cinéma Pine sous un joli manteau, à faire enrager la Brigitte Bardot. « C’est de l’écureuil », me dit mon escorte. Fort belle cette bougrine et je songe alors à me faire trappeur. Il en vient tant chez moi. Mais capturer Jambe-de-Bois, « mon » écureuil ? Jamais ! Malgré sa patte folle, c’est un acrobate époustouflant. De notre table à déjeuner, Jambe-de-bois nous offre des spectacles aux numéros iouïs, gratis derrière les portes-patio.
On a une mangeoire suspendu au plafond de cette galerie, C’est sa hantise. S’y nourrissent des parulines, carouges, goglus, sturnelles, hum… suis jamais sûr du nom. Sans se décourager jamais, notre blonde bestiole se cherche un point d’appui pour sauter au rebord notre mangeoire. À chaque visite matinale, on en lâche subito journaux et cafés. Ce fut d’abord des essais. Patient Jambe-de-Bois a une volonté de fer. Son dur désir d’« ailes et poitrines » l’excite. D’abord ce fut des sauts prodigieux. D’une rampe puis d’une autre. Vainement. Trop de distance. Puis ce sera ses grimpades le long des 4 par 4. Échecs répétés. À chaque ratage, longues minutes de dépit. Et il recommence, s’y remet. Show-time !
Un temps, ragaillardi, il tenta une neuve astuce : se jetant et s’agrippant dans la porte à moustiquaire. Vrai Spiderman ! Malheur à vous, martinet, carouge, chardonneret, pic, grive ou moqueurs…. nullement ornithologue, je doute du nom.
Nouveaux sauts donc mais… non, patate, partie nulle car griffé à la moustiquaire il devait, à la fois, se retourner et bondir. Mauvais calcul, notre écureuil se retrouvait chaque fois au plancher parmi les graines rejetées.
UN FAMEUX DIVERTISSEMENT
Total amusement en effet de le voir jongler, reculer, avancer, calculer, chercher sans cesse un angle nouveau. Son entêtement fait de notre blondinet une sorte de héros à nos yeux. C’est Superman volant. Ayons l’air cultivé, c’est D’Artagnan, Fantomas, Achille, Hector. Le Cid et Ulysse. Il y a quelques jours, revoilà notre chère « tête de pioche ». Silence ! Rideau ! Monsieur Queue Dressé va tenter du nouveau. Y a-t-il réfléchi dans sa cachette inconnue de nous ? Il vise un recoin de la galerie et voilà qu’il se hisse d’un bond élégant sur une étroite table-desserte de jardin -qui attend comme nous la venue du printemps. Cette fois, Jambe-de-bois semble gonflé à bloc. Ne se sert-il pas d’un fameux juchoir ? Zut, voici un gras geai bleu qui s’amène. Attente. Trop gros pour lui ? Maître Geai s’en va, graines avalées. Voici que s’amène un innocent bruant. Appétissant ! Son gavage d’abord… ces « têtes d’oiseau » ne voient donc jamais l’embusqué ? De ses deux pattes d’en arrière, valides celles-la, Jambe-de-Bois se rapetisse, s’aplatit, museau frétillant. D’abord ses regards scrutateurs, calculateurs vers la mangeoire, ensuite repliement et… Bing ! Il a mis son ressort en action : Spring ! Encore raté !
Au sol, il regarde la table, la cage à graines, la table de nouveau, re-grimpe… Trois fois. Trois bonds pas assez forts. Désolants ratages. De guerre lasse, notre acrobate s’en va voir ailleurs s’il y est ! Nous reprenons cafés et journaux.
SO-SO-SOLIDARITÉ
Un matin, je songe à abaisser la tige de la mangeoire : « Juste une fois, Raymonde. Par compassion, par pitié. » L’homme d’un couple se sent comme lié; « entre chasseurs n’est-ce pas ? Ma compagne s’indigne : « Pas question! Ce n’est qu’un rat avec une belle queue. » Je lui rappelle le beau manteau…apprécié. Enfin, je m’incline, pour la pax du ménage. Dans la vie, il faut savoir prendre parti : oiseaux ou écureuils? La mangeoire restera inaccessible. On aurait dit qu’ayant aperçu ma tentative de coopération et ayant perçu ma lâche abdication… longtemps, on n’a plus revu l’amusant Jambe-de-bois !
Au bout de quelques jours, il réapparaît ! On s’ennuyait de son cirque. Spiderman a l’air comme vieilli, assagi. Revient-il de sombres batailles ? Que savons-nous de l’existence des écureuils ? Un écureuil noiraud ne gisait-il pas au bord de la rue en sang ? Tué par l’un de ces racoons descendus du Sommet Bleu pour goûter nos détritus en poubelles ? Jambe-de-bois était donc revenu. Une retraite en vue de mijoter une stratégie nouvelle car c’est Napoléon Bonaparte. Il semble récapituler son champ de bataille : il déambule sur les rampes, grimpe aux colonnes, saute sur la table de fer noir, saute dans la moustiquaire. Il se souvient trop bien… Soudain, il vient se coller à la vitre et nous dévisage un très long moment. On en éprouve malaise. Il se détourne enfin et… quoi ? Jambe-de-bois mange goulûment les graines sur le plancher. Pauvre Icare sans ailles, déchu, se prend-t-il maintenant pour un oiseau ?