MORT D’UNE P’TITE BÊTE !
14 février 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
Scénographe salarié pendant 30 ans, en 1985 je devenais soudain un travailleur autonome. Donc libre de tout horaire strict. Je ne monte jamais à mon bureau pour travailler le soir. Jamais ! Comme un principe. Mais, tout récemment, correction urgente, je monte à l’étage. J’entre dans mon bureau. Qu’est-ce que je vois, au beau milieu du tapis gris, une toute petite boule poilue, très exactement du même gris que mon tapis. Elle remue légèrement, ne craint pas mon arrivée et ne se sauve pas ! Souris hors du commun, anormale ! Une souris plus vivante que l’autre souris celle de la famille des instruments indispensables à tout internaute.
Comme tout le monde, j’en ai vu de ces petits rongeurs. Que de trappes à ressort -de type victoria- furent installées dans cette maison plus que centenaire, que de pièges-à- fromage. Dans la cave et dans la cuisine. À l’étage ? Une première ! Si kioute ! C’est du Walt Disney ma foi. Ma bestiole égarée m’offre un ben charmant aspect, d’un naturalisme déplacé ici. Qu’elle est ronde ! Si mignonne ! Bel « échantillon de beauté » et j’hésite à la tuer, que fait-elle donc ici, immobile, insolite au milieu du tapis ? Il n’y a rien à ronger par ici !
Combattant mon admiration, d’instinct -avec une petite gêne- je retire une de mes pantoufles et… Paf ! (comme dirait Steph Dion). Un spasme d’agonie et ma boule de laine grise passe de vie à trépas. J’éteins l’imprimante et, faisant pipi dans la pièce voisine, je réfléchis. À comment m’en débarrasser ? Devoir redescendre, ouvrir la porte, la jeter dans la nuit froide, pour mon matou Valdombre qui rôde peut-être ? Vessie vidée, je reviens au cadavre miniature. Miracle ? Ma p’tite boule est redressé sur ses pattes et remue de la queue ! Une vitalité étonnante car il me semble bien que j’avais frappé très fort.
PAPILLONS, SAUTERELLES ET CRAPAUDS
Elle vit ! Est-ce que je rêve, suis-je couché, endormi dans la chambre voisine, est-ce que je vis un songe ? Ma foi, je doute du réel. Cette souris était trop jolie aussi, trop ronde, trop du même gris que mon tapis. Une vision ? Me suis-je drogué au souper avec un aliment périmé ? Je n’en reviens pas de cette apparition à l’esthétique inouïe. Éveillé ou non, je persiste : tout humain normal, n’est-ce pas, ne peut tolérer que vivent inopinément des souris dans sa demeure. Alors, de nouveau j’enlève très vite ma pantoufle et re-paf ! Plus rien ne bouge, cette fois le coup opère. La mort ! De nouveau, j’éprouve cette petite gêne. Soupçon de remord. C’est que ma boule n’avait rien d’un vulgaire mulot, d’un rongeur anonyme. « La beauté », vous dis-je.
On ne change guère ? Petit enfant, je fus de ceux qui répugnent à écraser une sauterelle. À tuer les fourmis. À éteindre la frêle existence d’un papillon pourtant capturé. À écrapoutir une grenouille. Ou le crapaud galeux qu’on venait, gamins cruels, de faire fumer ! Contemplant ma victime, je tentais d’imaginer ce que j’aurais pu faire. D’où venait cette si jolie bibitte, de quel trou de mur, de quelle fissure des vieux planchers, de quel cachette au plafond du faux grenier ?
SARBACANE, FRONDE ET ARC À FLÈCHES
Debout au pied de ma grise prise inerte, je me demandais : comment fait le chasseur face à une admirable bête -chevreuil, orignal- qui le dévisage ? Suis-je un vrai mâle ? Gamin, la seule arme que j’ai détenu était une sarbacane à cinq sous, tire-pois inoffensif. Ou cet arc-à-flèche de mes dix ans, outil inefficace en diable. Quoi encore ? Cette fronde à dix cennes, pour tirer les moineaux. Me souvenir aussi-il la voulait tant !- de l’achat d’une carabine-à-plomb pour mon fils, ce sera la crainte incessante que mon Daniel blesse quelqu’un.
Non, je ne suis pas du contingent des amateurs de chasse. Évidence. Bon, ça suffit ! Je dois agir, poser le dernier geste : effacer complètement la rencontre d’une souris bien jolie avec un drôle de pistolet trop sensible ? Je ramasse donc ma p’tite boule fourrée et je vais carrément la jeter dans la cuvette des toilettes. Mais voilà que, plongée dans l’eau, je la vois qui remue encore ! Pincement au cœur, un « petit meurtre ». Je tire la chasse, c’est fini. La bête souris plastifiée de mon ordinateur, elle, n’a rien vu !
Curieux ce remord qui disparaît et renaît selon que l’ennemie trépasse ou reprend vie! Le remord, serait-il un faux sentiment?
Accent Grave