QUOI ? MANGER DES DEVOIRS !
5 avril 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
Monter souvent -à deux coins de rue- pour aller sneaker aux comptoirs d’une école et vérifier si « le devoir » des élèves est appétissant. Acheter ce devoir pour le manger ! Avant « l’heure de l’apéro », durant l’année scoaire, nous sommes un petit groupe d’aficionados à aller reluquer les vitrines de cette école-de-bouffe, rituel à risques. Il y a les élèves doués et d’autres… plus faiblards. Un jour, c’est divin, un autre… bien moins.
Pour rigoler, je questionnais Serge, compétent et jovial caissier : « Pourquoi pas afficher les notes des élèves ? On n’achèterait pas les barquettes des plorines, des devoirs marqués 3 sur10 ? » Il rétorqua en riant : « Non, pas question. On discute pas des goûts et des couleurs. Choisissez votre bouffe à vos risques et périls ! » Cette école de la rue Lesage excelle en potages souvent savoureux, en soupes parfois surprenantes, aussi pour des desserts à l’occasion succulents.
Pour le reste, oui, il y a risque. Par exemple, trop souvent cette épaisse sauce brune, l’épais graevy d’antan. Mais il y a des fins d’après-midi miraculeux quand les chefs-profs se sont surpassés en initiant leurs pupilles à quelques recettes époustouflantes. C’est alors l’aubaine des aubaines!
« Manger, a dit un philosophe, essentielle et unique condition pour vivre. » Manger : la grande affaire, souci quotidien des riches ou des pauvres. Pour la majorité des gens c’est l’inquiétude quotidienne : « quoi faire rôtir, cuire ou bien mijoter ? » Pour une minorité, les bien nantis, c’est la recherche pointue, le raffinement, les exotismes : trouver les produits frais au marché à la mode, dénicher l’épicier exquis, le comptoir du « traiteur favori », le resto bien branché. Découvrir la recette complexe dans le livre « de pointe », frais édité. Bref, pour ces « favorisés du sort », manger est un plaisir. Mieux, un culte. Et pour ces « becs fins », le vin n’est jamais une piquette.
Ô GALETTES DE SARRASIN !
En Occident, au Québec dorénavant, les exigences des palais éduqués sont venues car il y a eu évolution. Manger est devenu une industrie complexe. Avec des magazines chics. Et la télé aussi y va de ses émissions spécialisées. S’illustrent avec talent un Ricardo pétillant, une compétente Josée di Stasio. S’y affiche encore ce cook bavard hilarant, Daniel Pinard avec ses démonstrations pétardardentes, si souvent cocasses.Tout a bien changé, combien sommes-nous encore, aînés, à témoigner exactement de quels temps durs nous venons ? À ces époques, point de légumes rares : « Quoi ça, du brocoli » ? Aucun fruit exotique : « Quoi ça, des kiwis ? » La bouffe des années de notre jeunesse était primitive, simpliste, nécessaire seulement. Nous mangions pour rester en vie.
Naguère les langues capricieuses, les papilles gustatives raffinées, ça n’existait tout simplement pas, dans aucun de nos entourages familiers, parents, voisins, amis. Et nous ne mangions pas toujours à notre faim ! Je me souviens bien des modestes repas faits de galettes de sarrasin. Du fréquent « pain doré ». Des crêpes communes à bon marché, et, ultra fréquentes. Et les sacrées pétates ! Cette précieuse pomme de terre, abondante -trouvaille de M. Carpentier- fut longtemps une sauvegarde en tant de milieux modestes.
Si, dans mon quartier, j’ai pu avaler tant de frais et bons légumes, c’est grâce au -devenu populaire- marché Jean Talon, à deux pâtés de maisons de chez nous. En ce temps-là, comme dit l’évangile, il n’y avait point de ces « écoles de cuisine », comme ma voisine, rue Lesage. De rares livres populaires répercutaient la cuisine-des-ancêtres comme celle de nos grands-mères débrouillardes. Ainsi nos mères « à grosse famille » continuaient de répandre ces popottes toutes ordinaires. Il y a eu de valeureuses pionnières du « un peu mieux manger », dont cette célèbre « Madame Benoît », pour seul exemple.
LOIN DES SOPHISTICATIONS
Quand je me place dans la file de cette école, rue Lesage, c’est une sorte d’excitation chaque fois. Tous -ils ouvrent à 5 h pile- nous guettons la surprise et souhaitons l’étonnement. Pourtant chaque visite me fait me souvenir de toutes ces années de jadis. Sortis de l’école -à midi comme à « quatre heures¿ nous nous engouffrions dans la cuisine. « M’man, qu’est-ce qu’on va manger ? Jamais rien de bien sophistiqué au menu à part son roast-beef des dimanches midis . En semaine, nous contenter l’estomac sommairement, nous remplir un peu le bedon quoi. Nous savions que le menu serait le même… qu’avant-hier. Que notre boustifaille -des midis ou des soupers- serait faite d’ingrédients ordinaires. Ô les ragoûts tarabiscotés ! Les fricassées-à-restants ! Les « chiards ».
Nous n’émettions jamais de graves critiques, parfois : « Oh non, pas encore de la saucisse ? » Il fallait manger comme il fallait dormir. Nous ne pouvions imaginer qu’un jour, il y aurait des jeunesses étudiantes, à Sainte Adèle, qui auraient pour « devoir » de réussir « une choucoutre à la alsacienne, ou des cailles à la lyonnaise !
J’ajouterai que pour plusieurs, cette cuisine familiale peu originale, parfois bonne au goût, a fait prisonniers nombre d’individus qui n’ont jamais voulu goûter les nouveaux plats ensuite arrivés.
Accent Grave
Bonjour monsieur Jasmin
Je dois vous dire que j’ai adorer votre article, et surtout surpris de savoir que ce genre de devoir existe dans les écoles(3e ou 4e secondaire?). En tant que futur professeur je peux de suite constater qu’il y a du travail à faire.