C’est quoi la beauté ? C’est le fier visage de cette jeune enseignante, déambulante dans la rue Morin, avec, derrière elle, ce vivant joli serpent de jeunes enfants de son école d’en bas de la côte.
Oui, la beauté dans la rue au soleil, ce matin-là. J’ai ralenti, réjoui de cette vision si joyeuse. Je n’en reviens pas chaque fois que je vois de ces petites troupes de jeunes enfants aux minois rieurs (une sortie !) qui se rendent ou reviennent d’une -comme on dit- « activité scolaire ».
La beauté est partout pour ceux qui ont su conserver la faculté de s’émerveiller, une des deux facultés « indispensables » à la bonne vie, à mes yeux. L’autre étant celle de savoir s’indigner.
La beauté a mille visages. C’est cette modeste fleur pré-printanière dans un jardin enfin débarrassé des neiges. C’est ce grand et beau vieillard, M. Mackay, qui, l’hiver fini, fait souvent le tour de mon quartier. Avec sa jolie canne, son pas encore guilleret, son grand sourire de bonheur quand il me salue à un détour de sa promenade. Sa jeunesse m’épate, malgré son âge très avancée. Monsieur McKay reste fringant. Il va et vient, droit, le nez en l’air, les yeux fouineurs, beau fantôme errant, ambulant, la mémoire chargée de tant de souvenirs. On a ri tous les deux quand je lui criai : « McCaille, p’tit-Kapaill, black-aille ». « Oui, on me criait ça dans ma jeunesse lointaine, en effet.
La beauté c’est elle, que j’aime encore et toujours, celle qui déteste tant les corneilles. C’est lui aussi, lui qui s’en est allé, mon cher Théoret, notre « marchand de fer », parti si tôt.
PAUL DUPUIS
La beauté c’est, loin dans ma mémoire, ce jeune matelot entré dans la Marine Marchande. Le « beau gars » d’en face, fils de petit juge rue Saint-Denis, que mes grandes sœurs admiraient tant. Dont elles rêvaient la nuit. Dupuis, qui deviendra un acteur en demande à Londres ( chez Rank, le cinéma). La guerre finie, la télé débutant, il revient au pays en 1952. Paul Dupuis, un jeune Québécois aux traits de soleil, blond comme blés, à la voix de velours, comédien épatant aux Compagnons dans le Henri-Quatre de Pirandello. Qui, hélas, quittera sa vie avec fracas un mauvais soir, désespéré au fond d’une chambre du Nymark Hotel à Saint-Sauveur. Mystère d’une vie…
La beauté des hommes ? Mais oui, on chante plus souvent celle de femmes et c’est justice. Il y avait une autre mâle beauté parmi nos voisins dans Villeray. Ce bel étudiant qui fait soupirer d’aise sœurs et voisines. Un étudiant en philo, « beau comme un acteur-de-film », Jean-Paul Cardinal. Le « Si studieux » les soirs de chaleur sur la galerie voisine. C’est ce sombre hildago, Valentino au visage grave, aux yeux sombres, qui deviendra un jour important Ministre de l’Éducation sous Daniel Jonhson. Il était ce perpétuel « premier de classe » du collège Grasset quand moi je tire de la queue, moi, l’indiscipliné de nature, de tempérament et sans Ritalin aucun, en 1950, pour m’en sortir !
JOLIE MAITRESSE D’ÉCOLE
La beauté c’est, je le redis, le visage épanoui de cette maîtresse d’école à la proue d’un petit défilé, et c’est aussi ses pupilles aux frimousses vivantes, sa bande, sa jeune horde de petits marcheurs au milieu de la côte Morin. Chaque fois je vois l’avenir, je crois en l’avenir. Tant de jeunes vies brouillonnes qui débutent, tant de petits pieds farouches. Oui, c’est cela la vie qui bat, qui grandit.
Mangeoires rangées à la cave, voici de nouveaux ailés qui sont comme de suie, on dirait du fusain voltigeant, images d’art japonais, chinois. Mon ignorance ornithologique, merde !, qui ont ces petites boules remuantes, filantes, aux plumages d’une soie bien opaque ? Sont-ce des canards, au loin, tous ces oiseaux nageurs qui bordent ce « faux lac » issu des champs inondées le long de l’autoroute 15 ? La beauté cela aussi, éphémère certes, hélas !
Ouvrons bien les yeux, partout, les sapinières changent de ton, passent à des verts jeunes, neufs, perdent leur verts sombres de l’hiver. Si le mois d’octobre flamboie dans nos collines laurentiennes, le mois de mai, lui, est une fête naturaliste prodigieuse. On en a, tous, le coeur plus léger. Bientôt ma mie, avec un plaisir fécond, arrangera ses corbeilles de fleurs à suspendre. Fameux spectacle « à l’affiche » sous peu dans tous ces jardins où, en vente, s’offriront tant de variétés. Encore, nous en aurons la bouche ouverte de tant de couleurs vives.
Le printemps enfin, l’été annoncé, le rôtisseur de la galerie va chauffer de nouveau. Manger dehors, la bonne et belle joie. Vive nos courtes mémoires car déjà bien oubliés ces lourdes neiges qui nous tombaient dessus, il y a peine quinze ou vingt jours, pas vrai ?
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