Voilà que mon acrobate-écureuil, Jambe-de-bois, ne cesse de vouloir grimper aux oiseaux venus sur ma galerie. Il a changé, a le poil rare, la queue comme rongée, il fait pitié. Raymonde en chasseresse véhémente pour protéger la gent ailée. Tiens, des chardonnerets récemment, joli paquet de volants jaunes. Oh, voilà un pic. Sur une seule patte, cherchant constamment à garder l’équilibre.Pauvre éclopé. Ma compagne attendrie et choquée : « C’est lui ça, « ton » Jambe-de-bois cruel, le salaud ! » Non mais… il est pas « à moi », je proteste.
Loin de Maniwaki-la-réserve, ici, jamais de « lionceau en liberté ». Il y a cette histoire « de l’homme qui a vu l’homme qui a vu…l’ours », on la connaît. Écoutez bien ça : longtemps par ici -légende ?-, on me parlait d’un ours, parfois noir, parfois brun, qui rôderait au Sommet Bleu, Chemin de la Croix ou Chemin du Croissant, en ce quartier haut juché de mon village. Des promeneurs craindraient sa rencontre, me disait-on. Il s’agit un vieil ours goguenard, pas méchant d’allure, fidèlement abonné aux vidanges du coin. La ronde bête apparaîtrait et disparaîtrait au gré des saisons, capricieusement. Était-ce, en ce joli ghetto d’en haut, par besoin de faire peur aux candides bourgeois. En tous cas, je me méfie de cet ours jamais vu -on sait jamais- quand je monte visiter les amis Paltakis et l’auto garée, je file assez vite à leur demeure certains soirs de bonne bouffe-à-la-Carole LaPan.
PLEIN DE CHEVREUILS
Récemment, Luc, un assidu « des devoirs à vendre » de l’École-de-cuisine, me sert son histoire à lui de bêtes sauvages quand je lui cause d’un orignal venu baguenauder effrontément au rivage, à l’aube. Il m’écoute placidement, ne semble point surpris d’une telle visite et…en rajoute. À entendre ce bleusommettien c’est « en troupe » que de jeunes cervidés viennent rôder autour de chez lui, pas loin de la Croix de fer publique… bien mal illuminée, hélas. Je n’en reviens pas quand Luc me dit : « Oui, mais oui, on en voit souvent dans nos parages. Pire, en fin d’hiver, tout un groupe de ces jeunes chevreuils brouta à fond -affamés sans doute- une haie de cèdres entière ! » Légende urbaine encore ? Luc se moque de moi ? « Non, non, continue Luc, tu questionneras mes voisins, de bien belles bêtes, pas farouches du tout. J’en ai vu, et souvent, autour de ma propriété. Encore cet hiver, juré craché. »
Un loustic m’expliquait un jour : « Comme la chasse est totalement interdite dans toutes nos régions laurentiennes habitées, la reproduction de l’espère en est très favorisée. Ils peuvent copuler en paix et se multiplier en très grand nombre. Cela expliquerait ceci. Un hiver avec trop de neige égale donc tous ces nombreux chevreuils dévoreurs de haies !
Ces chevreuils qui s’épivardent dans les haies du Sommet Bleu m’a fait soudan me souvenir d’une randonnée dans un sentier sauvage d’un mont voisin, Loup Garou, pas si loin des condos du Chantecler.
UN ORIGNAL ÉPORMYABLE
Au soleil d’une promenade forestière en fin d’après-midi… soudain : une sorte de lourd et long terrifiant grognement ! Ma peur. Suivent des bruits de souffles… gigantesques. Je fige ! Le sol remua, je le jure, un sinistre tremblement ! J’imagine aussitôt un orignal égaré aux dimensions gargantuesques. Je l’avoue, oui, je panique. Je me penche et, vite, je ramasse un très gros bâton. Je détale. La peur. Je voudrais vous y voir les ricaneurs. Me retournant, je cherche des yeux une vaste forme mais le boisé en haut du Loup Garou est si fourni, d’une telle densité, qu’on n’y voit rien ! Je guette une énorme silhouette, j’imagine voir surgir d’entre les arbres l’ombre effrayante. Sans doute un orignal, peut-être blessé. Donc rendu agressif et dangereux.
Ma compagne a entendu aussi et, comme moi, en est fort intriguée. Un bon sens de la conservation me dicte aussitôt de fuir. Courant devant elle, je lui lance : « Viens vite, suis-moi, sauvons-nous, » Je jonglais,en cas d’attaque de cette bête, à grimper aux arbres. Des yeux, je cherche fébrilement un sapin ou un pin avec des branches basses. Quand je me retourne, ma Raymonde marche calmement, loin derrière moi. Je crie : « Plus vite, trouves-toi une forte branche, rejoins-moi ! ». Quoi ? Elle rigole ma foi.
Une fois éloignées tous deux de la source de ce beuglement épormyable… halte. Repos ! Mon souffle court. Elle, moqueuse : « Ouengne !, tout un homme ça ! Merci pour la protection, belle leçon de solidarité ».
J’en reviens pas de ce flegme… féminin, moi. Longtemps, encore aujourd’hui, cette brève aventure lui fera un fameux sujet de conversation dont je serai l’objet de venimeux quolibets. Mais quoi, quand il faut sauver sa peau, non ? Allez au diable les mâles féministes scandalisés.
Il n’en reste pas moins que l’on a tort en pays laurentien de croire son village tout dépourvu d’animaux sauvages. Ouvrez l’œil, ils y sont, tapis dans de propices ombres. Tel notre immense empanaché, ce « bétail » qui surgit du marais de l’ouest du lac à chaque automne pour, peut-être, dévorer nos pommes tombées.
Chers nouveaux venus, n’allez pas croire que nos espaces civilisés sont dépourvus de sauvagerie, l’hiver prochain surveillez vos haies, la nuit venue. Et, au Sommet bleu, guettez l’ours qui a vu l’homme…