UNE PÊCHE MIRACULEUSE ?
7 septembre 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
Il n’a que cinq ans et pourtant parfois il vous affiche une de ces faces tellement sérieuses. Voici un beau matin, frais, avec un soleil intermittent; un firmament aux couleurs nationales, bleu et blanc. Tant de nuages au vent. Je ne sus pas seul au bord du Rond. J’ai un compagnon. C’est un petit garçon ordinaire, c’est un enfant normal qui semble découvrir, ravi, qu’il y a des lots de petits poissons à mon rivage et qu’il y a moyen de les attraper avec un filet que je lui ai offert, qu’il y suffit d’être habile, astucieux et rapide.
Je lui dis dès sa première cueillette qu’il est bien plus malin que moi, que j’y arrive jamais, ce compliment le stimule, il me toise, genre : « T’es un grand, un vieux, mais… » C’est la vérité. J’ai souvent essayé jadis. Patate chaque fois ! Trop impatient ? Mon petit visiteur qui habite au nord de la clinique, un peu loin du lac donc, a sans doute un don. Il en sort sans arrêt, à une cadence vraiment étonnante, et moi, assis sur le banc, j’abaisse chaque fois mon livre pour le féliciter. Il a souvent le filet tendu haut au bout de son petit bras et il bombe le torse. En a les yeux lumineux : « Regarde ça ! Deux d’un seul coup ! Ça gigote ! »
Curieux, il ne semble pas trop aimé les prendre ces petits frétillards lumineux au fond du filet pour les jeter dans la sceau de plastique crème. Bizarre frousse, dédain, une crainte immotivée ? Est-ce que ça mord des ménées ? Ne pas oublier, il vient d’avoir cinq ans. Jean-François, son père, nous menuise un neuf parquet de terrasse et refera un escalier. L’enfant est fier de son jeune papa, ce bricoleur emeritus, je l’ai constaté. L’enfant nous a entendu féliciter son géniteur, alors, sur ce quai, le rejeton souhaite-t-il aussi de la fierté tombant sur lui ? Il ne cesse pas de solliciter mes bravi pour la moindre de ses prises.
Donner à manger à ceux qui ont faim (Jésus).
« Quand je m’en irai, que vas-tu faire avec tous mes poissons ? » A-t-il oublié qu’il s’agit de bien petites victime, il dira : « Les manger peut-être, oui ? » Je dis : « Oui, frits dans le beurre, tournés, c’est un régal mon p’tit bonhomme ». Il est content et encore davantage stimulé, il sert à quelque chose, il collabore à nourrir ce vieil homme qui lit sans cesse sur un banc de ce quai. Le voilà donc de nouveau, sérieux, qui s’agenouille pour mieux voir le fond de l’eau; le voilà de nouveau, grave, qui plaque son filet au fond… Et qui guette et qui guette… Son cri : « J’en ai un ! Un gros ! » Je joue volontiers l’étonné, l’épaté. Il rit. Entendre le rire d’un enfant, ma joie ! Un certain laps de temps passe. « On dirait qu’ils deviennent méfiants ? » Il déplace sans cesse son filet, nerveux, s’agite du derrière en l’air, crapahute sur le quai. « Quoi est-ce que ça mange ça, tu penses ? » Je jongle. « Ah, si tu leur jetais de ces petits fruits rouges, hein ? Regarde tout autour, dans les chèvrefeuilles, il en pleut, va te servir ! » Il me tire une manche, il veut mon aide, ce petit garçon n’a pas de temps à perdre, c’est clair, il est comme en mission. « L’enfant ne joue pas », écrivait notre poète St-Denys-Garneau. L’enfant ne joue pas toujours quand on le croit au jeu, je le sais depuis longtemps. Aussi je lui découpe des branches bien garnies de fruits rouges et il file sur le quai, jette avec emphase ces mini-billes à l’eau, s’agenouille aussitôt : « Oui, ça les attire, je les vois bien là, vite, mon filet… »
Il va être midi. Le vent se renforce au large. Des véliplanchistes tanguent et se crient des appels de plaisir. Le jeune voisin, puissant nageur se sort la trompe et nous fait sursauter, il rentre à son port venu d’un tour complet du lac à son habitude. Mon biblique petit pêcheur miraculeux exulte maintenant et sa chaudière se remplit. Il voit mon admiration, s’en rengorge. « Veux-tu que je les compte ? Je sais compter, moi ». Il le fait. Je mime le satisfait. Le voilà, zélé, qui rampe d’un bout du quai à l’autre., se redresse souvent pour quérir ses petits fruits, les jeter, guetter, attraper. Il en a le souffle un peu perturbé, il vaque tout à son affaire, solennel, appliqué. De l’ouvrage ! Et il se voit maintenant en expert, mes « oh » et mes « ah » en sont des preuves.
Le rire d’un enfant !
Au fond du seau c’est maintenant un trafic intense. Mon petit gamin se redresse parfois pour aller contempler ses prises. Il en a des sourires d’une satisfaction ultra visible. Avec, vers moi, des clins d’œil complices cocasses pour que je manifeste sans cesse mon contentement. À chaque « gros », il a un cri triomphant, c’est l’euphorie. Et il rit. Ah oui : entendre le rire d’un enfant, pour moi c’est le bonheur. Le paternel surgit soudain. « Viens, on va aller luncher mon gars ! » L’enfant tout excité lui fait voir « le » miracle des ménés, lui signale les quatre ou cinq « géants ». Il quittera le lieu magique à regret, s’éloignera du quai en suivant son père, se retourne : « Je t’en pendrai bien d’autres après-dîner, tu verras ça. Tu pourras manger tout ça au souper. » Au dessus de la haie, j’aperçois un regard du père, un sourire complice qui me dit : « Vieux grand-père menteur ! » Quoi, il y a de pieux mensonges, non ?
Je suis content d’apprendre que le lac Rond contient encore des poissons !
Mais quand le petit dit : J’en ai un gros !, veut-il parler d’un de ces monstres de nos lacs ou bien simplement «d’un moins petit que les autres»?
De là à les mettre dans un «sceau», je reste pantois ! un sceau rouge en cire ? aux armes du Roy ? Je vous taquine ! tout le monde fait des fôtes !
Bonjour !