FRANÇOISE N’EST PAS MORTE !
17 septembre 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
Chaque fois que nous parlons d’un disparu, il revit. Je parle souvent de mon père. Et de ma mère. Je veux vous parler de Françoise. De Françoise S., la « vieille fille » héritière d’un important bijoutier du Plateau. Elle était notre voisine immédiate. Dès notre installation en 1973, ce sera la découverte d’une voisine rêche, raide pimbêche sans aucune bonne façon. On prenait conscience Raymonde et moi, d’une voisine peu sociable qui ne sortait que…sur sa longue galerie d’en arrière.
Petit coup de tête à la nuque raidie, si je la saluais, moi, l’écrivain-commère. Méfiance ? Premier contact quand Raymonde osa déposer des quenouilles (arrachées d’un mini-marais qu’on a comblé depuis) sur le rebord de « son » muret : « Laissez pas ça là ! Ça pourrit ça et ça pue ! Ramassez ça et à la poubelle au plus sacrant ». Premières paroles de bienvenue quoi ! Sidérés nous étions. Plus tard, toujours de sa galerie, sa parole grièche, son ton surélevé :
« Y a votre chaloupe, là, vous l’attachez mal, elle traîne encore à mon rivage, alors, si-ou-pla hein ! »
C’est fou mais face à de telles gens, j’ai toujours comme le goût, le besoin instinctif de… conquérir. Je cherchais à « comment charmer cette sauvage Françoise un brin », comment l’amener à des rapports un peu plus aimables, entre voisins, c’est nécessaire, non ? Si je lui causais météo, juste pour parler, j’obtenais de sourds grognements, si je lui causas coût de la vie au village, des marmottages. Non, pas du tout envie chez ma voisine de tisser des liens. Un jour d’octobre : « Écoutez donc là, votre vieux Giguère (un érable) si proche de ma maison, à chaque automne ses feuilles mortes couvrent ma toiture, ça pourrit, mauvais pour mes bardeaux. » À chaque automne revenu, ce sera même lamentation et ses raides reproches. Au troisième octobre, je lui répétai : « Il y a une chose Françoise, j’ai fait des démarches, j’ai voulu engager des gens, chaque fois on promet de venir couper mon « giguère » mais personne ne tient parole » ! » Oh la la !, il n’en fallut pas plus cet automne-là pour que ma misanthrope en sombre jupe éclate : « Là, je saisis votre problème, parlez-moi z’en pas, pas moyen d’engager qui que ce sot, je le sais trop moi-même. Je connais notre monde par ici, tous ces hommes sont des bons à rien. Allez voir en bas de la côte, à l’hôtel Laliberté, c’est là qu’ils sont ceux qui vous font des promesses qu’ils tiennent pas, dans cette taverne à jacasser, à cuver des bières. Une bande de fainéants. » C’était tout de même la première fois que ma voisine acariâtre fraternisait enfin et prenant mon parti. « Je vous entendais pactiser tous les deux, me dit Raymonde, ma foi tu vas finir par t’en faire une amie ».
Mais un autre jour, au printemps, après la fonte des neiges, de sa galerie, sa voix haut perchée, ses cris de nouveau : « Écoutez un peu, y a des limites, ça a p’us de bon sens, vous faites rien pour corriger ça, votre clôture de broche entre nos deux terrains, est toute croche, c’est pire que jamais, a traîne à terre sur mon terrain, toute éparpillée, quand donc allez-vous vous décider à la redresser ? »
Je le fis. Je voulais la paix, je voulais l’amadouer, je la sentais si seule. Pourtant, un soir, le soleil allant se cacher derrière le Chantecler, je vois sortir de chez elle, un vieux mais costaud personnage. De sexe masculin. Une canne à pêche à la main, vêtu chaudement, botté, il s’en alla jeter sa ligne sur le bord du muret… où on ne mettait pus jamais les quenouilles raclées. Par discrétion, je n’allai pas lui offrir ma vieille chaloupe rouge. Il y avait donc « quelqu’un » dans la vie de Françoise ! Un soir d’été, je lui racontais de nouveau mes déboires pour la coupe du vieux « giguère » envahissant, ma Françoise -ma surprise- s’ouvrit un peu : « Saviez-vous qu’ici, oui, chez vous, il y a eu des Jasmin ? J’étais jeune fille, il y a donc bien longtemps. Le père était médecin à l’hôpital Notre Dame. Moi, j’étais amoureuse de l’un de ses garçons. Mais, le venimeux il me voyait pas. Il était fou des chevaux, je le voyais sans cesse sortir de la cave chez vous avec son maudit cheval. Il s’en allait galoper dans tous les alentours. Il n’y avait pas tant de maisons, pas de ce Sommet Bleu, ni rien. C’était les années 20, début 30 ! » Je ne disais plus rien. Je voyais bien son regard distrait, fuyant, de nouveaux yeux pour ma voisine rendue enfin moins rétive. Elle avait vingt ans de nouveau ? Le chien feu-Choupi de Jodoin éclata en aboiements pas loin et ma vieille Françoise sursauta. Elle toussa et puis rentra, comme gênée, s’excusant.. de je ne savais trop quoi.
Il y a des années, elle mit sa maison à vendre pour aller s’installer dans une jolie pension proche des cotes 40-80. Elle me dit : « Je m’en vais. Si vous voulez, prenez-vous des pivoines de mon parterre. » Je les ai toujours. De bien belles fleurs. Merci encore mam’zelle Françoise !
Vous êtes plus patient que moi ! avoir une telle voisine, je l’aurais réléguée aux oubliettes depuis longtemps ! Ce qui m’intrigue, c’est cet homme, que Françoise aurait dans sa vie… Qui est-il ? habite-t-il toujours là ou s’il vient lui rendre des visites la nuit ?
On veut savoir !