LA P’TITE MAISON DANS LA VALLÉE
22 septembre 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES, Poing-comme-net
On est excités, on a loué un chalet dans le nord, c’est pas des farces ! On est quatre, on a vingt ans, on étudie les « arts artistiques », on a loué pour toute une semaine. « Semaine des fêtes », hiver 1950. On peut enfin faire du ski toute la journée et toute une semaine. Mes amis ont des noms merveilleux : Lafortune (Roger), Lavoie (Roland) et Lalumière (Guy). Le soir, on jase, on rigole, on a des jeux de société et…on peint ! À l’aquarelle, ça prend moins de place, et sur des calepins, chacun dans son petit coin car il y peu de place.
Oui, on a loué la plus petite maison dans cette petite vallée, juste en arrière du steak house célèbre -démoli récemment- le « Quidi Vidi ». C’est rue Patry, une rue à 5 ou 6 maisons, à l’est de la clinique, de la bretelle de la 15 vers Sainte-Agathe. Allez-y ! Voir si je mens. J’y suis allé vérifier tantôt : la si menue demeure est toujours là et on y fait des rénovations, va-t-on l’agrandir ? Il y avait trois pièces : la mini salle commune avec son vieux divan, un simple comptoir à manger avec des tabourets, un placard, deux chambrettes avec des couchettes étroites étagées, une mini salle de bain. On se tassait.
On y a été si heureux.
Aznavour : « Je vous parle d’un temps que les moins de 50 ans… », nourriture primitive, pâtes et pâtes, conserves chipées à nos parents, juste le linge de stricte nécessité, nos gros chandails tricotés (à têtes d’orignaux), mode d’avant les actuels blousons si légers. Toute une semaine de ski, pensez-y donc, une semaine à la campagne, sept jours dans ces blanches collines dont nous rêvions tant jeunes citadins. Il y aura quelques soirées de boogie-woogie, de danses « collés ». Au sous-sol du Montclair Hotel. Fameux Redroom aux week-ends bondés de jeunesses danseuses et dragueuses. Quelle chance : rencontres un soir d’accortes infirmières en vacances elles aussi. Mais nous sommes des « cassés », des « tout nus », rien à offrir à leurs tables donc. Ces belles demoiselles cherchent de futurs médecins, des maris solides. Ingrédients humains qu’on ne déniche pas chez les futurs grands « artisses ». Donc, vite, indifférence à notre égard hélas !
Bof !, rentrons les bras vides et puis, ici, où donc aurions-nous pu « chanter la pomme », caresser et necker, dans ce si petit logis ? Chantons et rions, demain matin, vite, sur les pentes du Chantecler, cela en traversant « à ski » la vieille 117, piquants à travers champs. Ce soir-là, entre célibataires forcés, buvons notre rouge italien -l’inévitable Chianti à changer en bougeoir- et coupons-nous des rondelles d’une charcuterie primitive il y a 50 ans, cher baloney pas cher. Devoir aller visser une plaque de plomb commun au 590 Patry, y lire : « Ici, il y a très longtemps, ont rêvé, ri, bu, mangé, librement imaginé leur futur en faisant des plans d’avenir prodigieux, quatre jeunes et pauvres artistes s’imaginant volontiers une vie formidable, des amours merveilleuse et un bonheur enivrant ».
QUE SONT DEVENUS MES AMIS ?
J’ai perdu de vue Lalumière, venu de la Gaspésie, j’ai revu un Lavoie semblant heureux de vieillir. Il y a moins longtemps, avec Lafortune -qui vit dans une belle grande maison à L’Islet au bord du fleuve- on est allé revoir cette toute petite maison adèloise de la rue Patry. Émotions. J’ignorais cet hiver de 1950 que j’allais crécher 18 mois plus tard, aspirant-potier, dans une écurie. Que j’apercevrais un midi le bel acteur si doué, Paul Dupuis, sortir en titubant de la buvette de l’auberge Chateauguay, rue Morin, bras dessus bras dessous avec son auteur Claude-Henri Grignon, pompettes, discutant ferme sur le fabuleux libre-penseur Arthur Buies qu’incarnait Dupuis. Je ne savais pas qu’un jour, pas si loin de « la petite maison », j’aurais pignon sur rue au bord du petit lac.
La jeunesse vit, ignore qu’elle se fabrique des souvenirs, la jeunesse me lit, sourit de ces temps pauvres. La jeunesse fait bien de faire emblant que cela va durer, qu’elle ne vieillira pas, qu’on ne démolira rien, ni le Quidi-Vidi, ni le Montclair et le Redroom, ni l’auberge Chateauguay au coin de ma rue. Le temps est bien fait, hypocrite, il ment aux jeunes, fait mine de ne rien graver mais vous verrez, jeunes gens, viendra aussi pour vous un de ces jours où vous aurez envie d’aller examiner une ruine ou un coin qui a duré, charmant, un lieu aimé. Comme moi rue Patry, vous aurez le coeur qui se démène et une point de nostalgie très bienvenue. « Que sont mes amis devenus », allez-vous murmurer ! Il y a le vent qui frappe à toutes les pores, pas vrai cher François Villon ? Dans le nord, ici, c’est Nelligan qui me fait écrire : « Ah, comme la neige a neigé » depuis !
J’ai connu moi aussi le Ste-Adèle des années cinquante: le Montclair, le Quidi Vidi, Le Castel Boisé, le Centre d’Art, la messe à dix heures tous les dimanches, le cinéma en bas de la côte, la quincaillerie des Théorêt sur la 117, la maison de Claude-Henri Grignon, devant laquelle on passait sur la pointe des pieds, le Sommet Bleu avec sa croix, la 40 et la 80, que mes enfants n’aimaient pas…«trop platte! » On veut aller au Mont Tremblant !
Vous évoquez bien cette époque, je vous en remercie !
Bonjour monsieur Jasmin,
Vous lire est tout à fait savoureux et évoque en moi bien de souvenirs ! J’ai habité Sainte-Adèle de 1945 à 1972; j’ai donc connu la famille Patry, Claude-Henri Grignon, Maurice Aveline . Guillaume Lessard… Pep Cotroni, la famille Lemieux et Georges Lemay. Lui qui aimait bien la publicité à l’époque, nous aura fait un dernier coup, soit celui de disparaître dans le silence ! Ah comme la neige a neigé, comme vous dites, et elle est s’est déposée sur nos cheveux, et dans notre barbe… ce qui ne nous empêche pas d’en rire !