DE BEAUX LAMBEAUX DE BRUME
17 novembre 2008 | 1-Tout, LES BELLES HISTOIRES LAURENTIENNES
Le vieil homme qui se dit encore vert, hum, moi, s’arrache de sa couchette à la neuvième heure tous les matins.
À moins de pressantes affaires -le dentiste par exemple.
Après ?, la toilette. Après? Vite aller se procurer les « mauvaises » nouvelles du jour. Payer pour cette dope ! Mais si on veut rester bien informé pas vrai ? Ensuite, revenu de ma tabagie, sortir les céréales et des fruits (un matin sur deux) ou bien mettre l’Œuf dans le poêlon. Avec confiture sucrée ! Enfin, s’installer pour en apprendre plus long que le téléjournal. Des matins comme ceux tout le monde. Pour rédiger ma chère chronique mes gazettes ne me servent guère. Vous l’aurez remarqué : j’ai décidé de bavarder sur la vie ordinaire, ne plus m’exciter en polémiques rageuses. Par la fenêtre cinq (oui, 5 ) cardinaux ! Si rouges ! On avait mis la mangeoire. Avant-hier, au rivage, Raymonde a pu compter 44 canards ! Partent plus pour le sud, eux ? Restez, restez !
Ce lundi de cette semaine, roulant aux gazettes, de grands lambeaux de brume à l’horizon au delà de la rue Morin. Que c’est beau dans le ciel vers Sainte Marguerite ! Paysages brouillés d’un romantisme tout nordique. Me suis souvenu de photos brumeuses montrant en des contrées lointaines. Scandinavie, Finlande ? Où donc, Islande ? Mes lambeaux, longues voiles toutes blanchies, disent : « Gens du nord, bientôt l’hiver. »
L’ÉBLOUISSANTE CLARTÉ DU NORD !
Toi qui me lit, enfant, ça va être ton dixième hiver ? Et toi dont les cheveux imitent déjà l’acier jeune, ton cinquantième hiver ? C’est mon 78 ième hiver ! J’ai posé jute et clôture de lattes devant le parterre. Faire ensuite installer les pneus à neige sur ma Jetta. Il y a dix jours, à regret, je suis allé ranger nos vélos à la cave, le cœur lourd. Je devais aussi clouer du « tapis de coco » sur mon trottoir de bois. Avoir sorti des brosses, des grattoirs, des pelles ! Malgré tout, j’aime l’hiver. Je retrouve la blanche neige aimée, si belle en Laurentides, moins au centre-ville de la métropole. Je retrouverai cette aveuglante et si belle lumière. Elle -« aux pays d’en haut »- serait la plus brillante, la plus intense sur toute la terre. Affirmation des experts.. Hélas, cette éblouissante luminosité, exclusive aux nordiques, sera brève chaque jour. Et la chaleur, c’est entendu, ne sera plus au rendez-vous pour 100 jours, merde ! Bon. Oh hommes ! appelons nos fidèles compagnes : « Raymonde, dans quelle commode, dans quel tiroir, mes mitaines, mes foulards, mes gants fourrés ? Dans quel placard du logis trouver ma capote doublée à double tour ? » L’hiver !
Revenir à mes moutons; oui, donc, il y avait ce matin-là ces longs lambeaux de brume à l’horizon de l’est. Un ciel plein de frêles tentures, comme déchiquetées. Un ciel en rideaux opalins troués. Mon ciel adèlois en parent exotique de ces fjords…Norvégiens, suédois ? Images des cahiers de rotogravures de La Presse, années 1930, 1940. Pliés dans le Chesterfield du salon, on lisait « Reykjavík » éberlué. « Ça, c’est de l’autre côté du monde », enseignait papa. Nos jeunes becs ouverts sur les images d’ailleurs !
DES CRIS, DES RIRES SUR NOS PENTES !
Enfants des villes aux horizons obstrués, penchés au dessus de vieux numéros « jaunes » des National Geograhic magazine, je ne savais pas qu’un jour, à Sainte-Adèle, je verrais de ces lambeaux de brume entre les montagnes. Plein mon pare-brise, de ce curieux ciel bariolé d’ouate grise. Bientôt des frettes noère ? Quid du périlleux « réchauffement de la planète » ? Propos de savants désincarnés ? Les enfants, eux, ne craignent pas les bordées hénaurmes -voire l’hiver dernier. Mais moi : le toit de notre maison de, peut-être, 110 ans, craquera-t-il encore ? Bon. De modernes canons vont vite gonfler les pentes en énormes jolies meringues et les « petits » bourgeois viendront skier, j’entends déjà les joyeux rires et les cris de bonheur. Dans Villeray, aucune côte. Nous guettions, seulement l’ouverture de la patinoire rue Henri-Julien, collée au marché Jean Talon. Voilà qu’à huit ans, au parc Jarry, on voit un drôle de zigue. Il glissait ! C’était magique ! Avec deux cannes de bambou, sur deux planches de bois ciré. Papa explique : «Vous voyez là, un skieur, mes enfants ! » Puis il nous enseigna une affaire incroyable : « Dans l’nord, les petits enfants se rendent à l’école là-dessus, mais oui, en skis ». Notre silence. Et Marielle, ma quasi-jumelle, qui me souffle : « Les mensonges que papa nous conte, voir si ça se peut ! »