« PAPAMADI »
8 juin 2010 |
« PAPAMADI »
Premier chapitre, en primeur
Résumé
Édouard Jasmin, le papa de l’auteur, était passionné par le monde des mystiques, stigmatisés ou non. Aussi par le démon, Satan, Lucifer, Belzébuth. Il racontait sans cesse au petit Claude, non pas des contes de Charles Perrault, mais d’extravagants phénomènes de voyantes aux prises avec le démon ou « qui saignaient le vendredi ». Le fils voulait partager ces histoires impressionnantes avec ses amis et commençait toujours par « Papa m’a dit », ce qui lui valut son surnom, Papamadi.
Ce récit auto fictif sur « le père » vient augmenter le célèbre roman de Claude Jasmin paru en 1972, La petite patrie, qui, tout comme ici, illustre une époque pétrie de religiosité, de « piéticailleries » et de « dévotionnettes », mais aussi un âge illuminé par la candeur de l’enfance et la confiance naïve dans ce drôle de papa.
- ISBN 13 : 9782896492251
- Date de parution : Août 2010
- Publié par: VLB Éditeur
Un calcul inouï
Ce matin, dès mon arrivée chez lui, papa vient m’ouvrir en robe de chambre, tout excité. Il brandit sous mon nez, énervé, heureux, exultant, une de ses chères annales pieuses – il est abonné à plusieurs revues religieuses. Je lis : Extrait important pour l’édification des foules. Mon père se lèche le pouce et, cérémonieusement, ouvre l’ouvrage, pointe un titre, m’explique que ça commente un livre intitulé Mission abrégée. Il en bave presque : « Écoute bien ça, mon garçon, c’est du sérieux, ça vient des missionnaires de Notre-Dame-de-La Salette. C’est un extraordinaire compte rendu chiffré de ce qui s’est passé à Jérusalem. Ouvre bien tes deux oreilles : il y a eu 144 coups de pied. Tu entends ? C’est écrit, 144 coups avec les pieds. Il y a eu 72 coups de poings. Ça fait mal ça, mon gars, les poings. Il y a eu 102 gifles, oui, pas dix ou vingt, 102 ! Il y a eu 227 coups de corde, 500 coups de fouet. » Il ferme les yeux, grimace.
Papa semble vraiment bouleversé, il se laisse tomber sur son Chesterfield usé puis reprend sa revue : « C’est pas tout : au Golgotha, Jésus a enduré 72 coups de marteau, mon gars, 72, tu m’entends ? Il a eu 109 soupirs. C’est de la déception, ça, de la détresse ! Le pire, et c’est écrit noir sur blanc : 6 475 blessures. » Il jette la revue avec un air scandalisé, comme si elle lui brûlait les doigts, se lève, va à la cuisine. Je le suis. Il se verse du café, son cher élixir. Silence dans la maison. Ma mère ne va pas bien ces temps-ci. « Ta mère est encore couchée. Elle dort très tard depuis quelques semaines, me dit-il. Pis, tu en penses quoi, toi, de tout ce que je viens de te lire ? » Je reste muet. L’étrange calcul, cette minutie dans l’horreur. Folie.
les illustrations sont de Laurent Jasmin Barrière
Papa m’amène dans la cour arrière. Il veut me montrer ses hautes roses trémières, son succès de jardinier. J’admire et il est content. Au loin, de stridents cris de chatte en chaleur, puis, plus près, des aboiements, sans doute les chiens de chasse dans la cour du vieux docteur Bédard. On rentre. Toujours bouleversé, il me répète : « Ça a été des souffrances effrayantes, hein ? » Il va à une tablette sous les armoires de la cuisine et sort ses allumettes de bois Eddy. Il a bourré sa pipe avec son tabac Picobac, il l’allume. Depuis toujours, j’aime cette senteur. Oui, chaque fois qu’il fume sa pipe, j’ai l’impression de retomber en enfance.
Revenu au salon, il reprend sa revue, l’ouvre de nouveau, la pipe odorante au bec : « C’est pas tout ça, mon gars, sous les yeux du procurateur Ponce Pilate qui, on le sait, s’en lavait les mains, il y a eu 72 crachats. Tu as bien entendu : 72. N’oublions pas le sang versé, 230 00 gouttes. » Papa fait beaucoup de fumée et ajoute : « Maintenant, mon gars, voici pire que pire : il y a eu… (il fait une pause, me regarde dans les yeux) il y a eu… 600 200 larmes. » Il se tait, ferme les yeux. Ma foi, il y est, sur le Calvaire ! J’ai envie de rire de cette étrange comptabilité, mais je m’en retiens. Papa n’a donc pas changé. Je me sens vraiment retourné à l’enfance, ce temps fou où il me racontait sans cesse ce monde qu’il aimait, celui des phénomènes, comme ces stigmatisées qui saignent de partout chaque vendredi !
Je dois y aller. Il m’aide à revêtir mon long manteau de chat sauvage. « T’as l’air des vieux habitants de ma jeunesse à Laval-des-rapides », dit-il en riant. Dehors, l’air frais de janvier me secoue. Porte ouverte, dans le vestibule, « sérieux comme un pape », papa fourre sa revue dans une de mes larges poches : « Prends-la, tu montreras ça aux tiens, à ta femme, à tes deux petits enfants. Pas à ta job, non, pas à Radio-Canada, un repaire d’athées, on sait bien. » Il ricane, me tape dans le dos. Une brume lui sort de la bouche. Avant de refermer : « Tu me la rapporteras hein, c’est un document précieux. »
Entrevue accordée par Claude Jasmin à Paul Arcand au 98.5FM le jeudi 26 août 2010
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Critique de Louis Cornellier du Devoir du samedi 4 septembre 2010
Critique de La Presse du 29 octobre 2010
Critiques
« Le proligique auteur Claude Jasmin publie Papamadi, un portrait d’une époque pieuse, mais aussi une touchante histoire sur son père, avec Montréal en toile de fond. »
Voir la suite >> 7 Jours7 Jours, 2010-12-08
« Je constate avec plaisir que l’écrivain manie toujours une ironie affûtée et un humour rieur. »
Voir la suite >> Le Canada françaisJean-François Crépeau, Le Canada français, 2010-10-28
« Un sacré conteur qui explore sans cesse son enfance. »
Voir la suite >> Le ProgrèsYvon Paré, Le Progrès, 2010-09-19
« (…) il y a surtout la plume alerte et tendre de Claude Jasmin, l’écrivain qui sait diablement bien faire sourire et émouvoir. »
Voir la suite >> La PresseMario Cloutier, La Presse, 2010-10-29
« L’infatigable Claude Jasmin nous propose un livre portant sur son père, qui était passionné par le monde des mystiques, par le démon. »
Voir la suite >> Le LundiLa rédaction, Le Lundi, 2010-12-08
« (…) un récit autofictif qui relate les rapports entre un père débordant d’imagination et un fils avide de fantastique. »
Voir la suite >> Le NouvellisteLinda Corbo, Le Nouvelliste, 2010-10-09
« À 80 ans, il publie cette saison son 60e ouvrage, aussi énergique que les précédents, mais habité par une émotion filiale d’une magnifique intensité. »
Voir la suite >> Le DevoirLouis Cornellier, Le Devoir, 2010-09-04