Une fois par année, retrouvailles. Un midi. Un repas. Nous retrouver. Nous revoir… Sauf les morts. Nous avions 13 ans d’abord et nous marchions, vigoureux gamins …au catéchisme, aussi au latin et à l’ancien grec. Nous traversions la rue Saint-Hubert au coin de Crémazie. Dans un champ, il y avait ce collège tout neuf. Oui, nous avions 13 ans il y a bien longtemps…
Une fois chaque année, un d’entre nous, Jean-Guy Cadotte —qui n’a plus 13 ans— nous téléphone. Nous : la bande d’anciens petits garons qui débutaient en études dites classiques, on disait aussi « faire ses humanité ». Un coup de fil à la fin de chaque été et ce vieux curé Cadotte, rituel, qui me questionne : « Seras-tu là, Claude, vendredi à midi, boulevard Gouin, au restaurant Le Bordelais », cette année, oui ou b’en non ? » Hésitation chaque fois. À quoi ça sert ? Envie de cesser cette —futile?— cérémonie-des-retrouvailles… un peu vaine, non ? À quoi bon ? Ma crainte de décevoir cet « ancien » et dévoué abbé Cadotte ? Alors lui dire « oui ».
J’en reviens. On était à peine une quinzaine, nous étions plus de 30 au début. On meurt. On meurt. Oui, j’en reviens, jour de beau soleil, ce midi-là, au bord de la Des Prairies. Le boulevard Gouin, vieille rue montréalaise toute ombragé, zigzaguait tranquille et j’ai revu le vieux pont du « CPR ». Montréal-Québec. Papa a grandi de l’autre côté, au rivage des Rapides sur une ferme, Rang du Crochet. Il entendait siffler les trains, enfant. Il m’en parlait de pont, avec son petit trottoir accroché à son flanc ouest, quand il allait à l’école d’en face, à St-Joseph de Bordeaux. Hasard, mes deux enfants fréquenteront aussi cette « petit école » longtemps plus tard !
Parking du Bordelais donc et paquet de têtes blanches. Toujours s’efforcer de reconnaître les ex-petits camarades d’il y a si longtemps. Jasettes. Rires. Tristesse aussi : encore un qui vient de crever. Merde. Nous serons combien bientôt ? Douze et puis 10…et puis cinq? Oh misère ! Un autre qui ne viendra pas : il ne peut plus marcher. Sur un trottoir, un blond garçon échevelé, les dents sortis, pédale farouche et rieur sur son un skateboard… Vitesse ! La santé insolente. Notre silence. Des voiles dans nos regards. Envieux, on le regarde s’envoler. Nous aussi, nous avons eu, tous, treize ans ! À la soupe ! Nous montons à l’étage du Bordelais. Joli menu. Des apéros. Pour ceux qui peuvent encore absorber de l’alcool ! Du jus de raisin pour certains. Immanquable : piques et horions sur nos profs morts : le sosie de Fernandel en géographe, le raide père Langis, « sulpicien vrai supplicien », Allard le directeur onctueux. Fusent nos farces. Aussi nos regrets. Envers Piquette-l’idéal, Méthot le sportif, le bon père Legault. Nos moqueries : ce bizarre « moine » Aumont, ce furieux « matheux », Mathieu ! Viendra le tour —fatal— d’énumérer maux, maladies, douleurs. Soudain : « Claude, j’avais un terrible béguin pour Marielle, ta si mignonne soeur, qu’est-elle devenue ? » J’avoue : « Écoute, cher Thérien, comme pour Laurence, Gauthier, les autres, mes soeurs se méfiaient : « Claude, ta gang d’intellectuels du Grasset, on en veut pas ! » Les rires éclatent. On parle flirts, jolies couventines au champ de cenelliers derrière le collège. On sent des remords, nos coups pendables puis, « on le ferait plus » bon, on bouffe de bien bonne humeur pour une 83 ième année d’existence. Tous. Les « anciens gamins » reviendront l’an prochain ?