Je sors de ma piscine comme chaque jour et, voyant la neige qui tombe, je m’écrie : « Oh non ! Pas ça, pas encore de la neige ! » Scandale. Autour du porche de l’Excelsior, cris de protestation. Plein de visiteurs venus de Paris me font de gros yeux. ! « Allons, l’ami, c’est si joli. Nous, on est venu justement pour ça, l’abondance de neige ! »
Depuis des années, je m’en suis rendu compte, « un tourisme d’hiver » se développe. On m’explique qu’il faut organiser, c’est couru et apprécié, des forfaits « sports-hiver-québécois ». J’ai appris de mes joyeux parisiens qu’en deux petites journées, ils ont pu se payer une « trotte » de traîneaux à chiens, « ah, mais nous étions dans un roman de Jack London, vous savez ! », aussi un idyllique bourlingage de « ski de fond » sous d’immenses haies de sapins ! Et puis : joie féconde et bonheur total : « On a fait de la motoneige loin de vos villages, en pleine brousse blanche ! »
L’engin —du père-Bombardier—est une vraie « folie » de bonheur pour ces jeunes citadins bobos de la mégapole la plus visitée du monde, Paris. « Ah bin, taberrrnacle (sic) que c’est jouissif votre ski-doo ! » Ça gloussait de « fonne », vous savez. Quand, cette semaine, veille du premier jour du printemps, j’ai vu tomber toute cette (dernière ?) neige, j’ai pensé au grand bonheur de ces « cousins » du vieux continent en visite dans… « nos quelques arpents de neige » selon la maudite expression du maudit Voltaire conseillant à Louis XV de ne pas trop investir en Nouvelle-France menacée par l’Anglo-saxon rapace !
Voyant, quittant le domaine de l’Excelsior, ma « toute excitée » horde de motoneigistes néophytes, si joyeux, vraiment enthousiastes, chevaucher de si belle humeur leurs engins à chenilles, j’ai pensé à nos enfances québécoises. À nos grands plaisirs d’accueillir de nouvelles giboulées. Il y a qu’avec les années, le Québécois finit par se lasser de ces « jolis flocons » qui forment. Hélas, de pesant, de très lourds congères. Qu’il faut pelleter. On doit nous comprendre à Paris.
Ça suffit quoi ! Que vienne le printemps. On est prêts tous à entendre les rauques et stridents cris des noires corneilles. Il y aura ensuite ces si jolis oiseaux familiers dans nos jardins. Il y aura les bougeons qui s’ouvrent. Il y aura le soleil plus fort et le simple petit bonheur de « marcher en souliers. Eh oui! Ça tient à si peu ? Eh oui ! Rappelez-vous, les anciens, grand bonheur tout simple, gratuit, sortir en robes ou en chandails légers, un certain jeudi précédant Pâques. Aller, frénétiques, « faire les sept églises ». Rituel, petit pèlerinage annuel —garçons et filles, pouvoir fleureter en masse— en souvenir des « sept plaies du Christ. Mort en croix et vendredi, l’église endeuillée, musique dramatique à l’orgue, trois prêtres se couchent, lampions et encens, tristes chants de gorge, cagoules violettes aux statues.
Sursun corda… ! La vie ! Avec dans l’air dominical grand concert. Volées des cloches de toutes les églises. Dimanche, la résurrection de Jésus et, pour nous tous, la résurrection de nos pulsions très humaines, bien laïques, bien en chair. À la craie de plâtre, vite, aller tracer en lettres géantes, au coin de la ruelle sur une palissade de vieilles planches : « CLAUDE AIME RAYMONDE ! » On est fou quand on a quinze ans, non ?