Ne craignez rien, je ne citerai pas tout le poème de Lamartine. Ou de Musset ? Ma mémoire ! Bon, bienvenue ô (au) lac car oui, ça y est, le Rond s’est enfin dégagé de sa glace. Et puis les verts bourgeons bourgeonnent dans nos arbres et, ce midi, filant au nord, une flopée énorme de canards —huards, sarcelles, bernaches— ma méconnaissance naturaliste… ? On revient du sud (Maine) où, le long des plages, un vent froid soufflait sauvagement. Oui Ferland : « on gèle au sud, on sue au nord car, à Ste Ad, samedi, la chaleur torride !
Vendredi matin, à Ogunquit, nous petit-déjeunons au Huckleberry dans Beach Road. Un restaurant vieillot, plafond gaufré, lampes torchères, mobilier ancien à loges cuirettées, plancher de mini carreaux émaillés et plein de photos antiques aux murs époque du Rudolf Valentino, du Picasso, du Matisse, de la Gloria Swanson, tous touristes du Ogunquit d’antan. Quand s‘organisaient de célèbres courses d’autos, des régates partant de l’Anse à Perkin, à coté.
Une jolie dame qui lit Pays d’En Haut m’aborde : « Vous ! Pouvez-vous me dire ce qu’Ogunquit a de spécial pour que j’y revienne depuis 40 ans ! » Ma Raymonde trouve, lui répond : « C’est pareil pour nous, notre quarantième visite à nous aussi, c’est l’attraction des souvenirs. La force des sites familiers. Le pouvoir de la mémoire des lieux aimés. » Vrai. Plaisir curieux de revoir Wells Beach, joli bourg à jolis chalets, ou Portsmouth, ses quais. Portland, ses cafés, son musée. Les Outlets à aubaines de Kittery. Revoir en pensée René Lévesque à son cher motel Dolphin avec Yves Michaud, au poker au dessus des falaises sous les cascades bruissantes du merveilleux sentier Marginal Way. Ou Robert Bourassa et sa famille (et les bouncers !) à son cher motel Aspinquid fait de bardeaux noircis.
Début mai donc et pas de homard, c’est fermé chez Fisherman’s ou chez Lords. Chez Jacquie’s aussi. Nous reste, au dessus des barques du mini port, le classique rustre Barnacle and Billie’s. Reste aussi à admirer le vaste océan. Un jeudi matin, on est ébloui par l’infini des eaux et ses verts tendres au rivage, plus loin, vert dense comme vitre de bouteille ! Oh ! Et puis, la rivière gonflée de marée en bleus graves, si sombres. Marcher, marcher sur le sable tapé revoir ces vives frises qui rampes, moutonneuses, toutes immaculées au soleil. Héroïques surfers au large mais hélas ce vent du nord, brrr !
Un mercredi soir dans le noir du rond-point des tramways, assis à un banc, digérant les fameuses pâtes du Roberto’s, Shore Road, observer un fragile noir horizon, un phare clignotant, un ciel de lune et plein d’étoiles. Un peu plus tard, à l’est, des bleus de velours vus de la longue galerie du Norseman :la beauté ! Le lendemain, mercredi, en plein jour, étonnant ciel de roses et de jaunes, tout ce village 19 ième siècle sous une lumière romantique, faire les boutiques, nos yeux ravis. Retour donc et, samedi, ici, chaleur du nord (!). Rentrés au pays et ce sera donc le lac fluide, débarrassé, les bourgeons, de premiers oiseaux et ce flot de canards qui crient le retour du doux temps ! Vive la mer, vive les Laurentides.
Je sors de ma piscine comme chaque jour et, voyant la neige qui tombe, je m’écrie : « Oh non ! Pas ça, pas encore de la neige ! » Scandale. Autour du porche de l’Excelsior, cris de protestation. Plein de visiteurs venus de Paris me font de gros yeux. ! « Allons, l’ami, c’est si joli. Nous, on est venu justement pour ça, l’abondance de neige ! »
Depuis des années, je m’en suis rendu compte, « un tourisme d’hiver » se développe. On m’explique qu’il faut organiser, c’est couru et apprécié, des forfaits « sports-hiver-québécois ». J’ai appris de mes joyeux parisiens qu’en deux petites journées, ils ont pu se payer une « trotte » de traîneaux à chiens, « ah, mais nous étions dans un roman de Jack London, vous savez ! », aussi un idyllique bourlingage de « ski de fond » sous d’immenses haies de sapins ! Et puis : joie féconde et bonheur total : « On a fait de la motoneige loin de vos villages, en pleine brousse blanche ! »
L’engin —du père-Bombardier—est une vraie « folie » de bonheur pour ces jeunes citadins bobos de la mégapole la plus visitée du monde, Paris. « Ah bin, taberrrnacle (sic) que c’est jouissif votre ski-doo ! » Ça gloussait de « fonne », vous savez. Quand, cette semaine, veille du premier jour du printemps, j’ai vu tomber toute cette (dernière ?) neige, j’ai pensé au grand bonheur de ces « cousins » du vieux continent en visite dans… « nos quelques arpents de neige » selon la maudite expression du maudit Voltaire conseillant à Louis XV de ne pas trop investir en Nouvelle-France menacée par l’Anglo-saxon rapace !
Voyant, quittant le domaine de l’Excelsior, ma « toute excitée » horde de motoneigistes néophytes, si joyeux, vraiment enthousiastes, chevaucher de si belle humeur leurs engins à chenilles, j’ai pensé à nos enfances québécoises. À nos grands plaisirs d’accueillir de nouvelles giboulées. Il y a qu’avec les années, le Québécois finit par se lasser de ces « jolis flocons » qui forment. Hélas, de pesant, de très lourds congères. Qu’il faut pelleter. On doit nous comprendre à Paris.
Ça suffit quoi ! Que vienne le printemps. On est prêts tous à entendre les rauques et stridents cris des noires corneilles. Il y aura ensuite ces si jolis oiseaux familiers dans nos jardins. Il y aura les bougeons qui s’ouvrent. Il y aura le soleil plus fort et le simple petit bonheur de « marcher en souliers. Eh oui! Ça tient à si peu ? Eh oui ! Rappelez-vous, les anciens, grand bonheur tout simple, gratuit, sortir en robes ou en chandails légers, un certain jeudi précédant Pâques. Aller, frénétiques, « faire les sept églises ». Rituel, petit pèlerinage annuel —garçons et filles, pouvoir fleureter en masse— en souvenir des « sept plaies du Christ. Mort en croix et vendredi, l’église endeuillée, musique dramatique à l’orgue, trois prêtres se couchent, lampions et encens, tristes chants de gorge, cagoules violettes aux statues.
Sursun corda… ! La vie ! Avec dans l’air dominical grand concert. Volées des cloches de toutes les églises. Dimanche, la résurrection de Jésus et, pour nous tous, la résurrection de nos pulsions très humaines, bien laïques, bien en chair. À la craie de plâtre, vite, aller tracer en lettres géantes, au coin de la ruelle sur une palissade de vieilles planches : « CLAUDE AIME RAYMONDE ! » On est fou quand on a quinze ans, non ?
Décès d’un céramiste surdoué
Mon petit camarade en céramique à l’École du meuble, Maurice Savoie, vient de mourir chez lui, à Longueuil. Paix, paix, paix… à ce modeleur de terre cuite « émérite » ! On peut se souvenir de lui en croisant dans le Métro (aux entrées des Morgan’s et Eaton) ses magnifiques hautes fresques d’argile cuite et décorée. Une briqueterie étonnante, des portiques hors du commun. Inoubliable aussi : sa collection de si beaux oiseaux d’une céramique émaillée inouïe !
Le docile, sage élève, Maurice Savoie, mince, souple, maigrelet élégant, était d’un caractère timide. Studieux, il se cherchait déjà un style bien à lui. Indifférent aux modes de l’heure, à un certain modernisme, il couvait en lui une création vraiment personnelle. Tournant le dos aux luttes en cours à cette époque , mon petit camarade, un jeune homme de peu de mots ne nous permettait pas de deviner qu’il deviendrait un créateur original, souvent fécond aux créations singulières.
Que ses oiseaux, d’une glaise légère, l’accompagnent au paradis promis !
Publié dans Le Devoir, 13 mars 2013
Écoliers, nous apprenions : « Aucune terre n’est si douce que la terre où nous sommes nés ». Il y avait des chansons où « les petits mousses » pleuraient leur patrie perdue de vue. Où des matelots « à long cours » étaient tristes sans bon sens. On chantait, la larme à l’oeil : « Un Canadien errant… », chialeur : « Vas dire à mes amis que je m’ennuie d’eux ! »
Je suis de ces générations, né en 1930, bien sédentaires. Le voyage était un luxe. Sans bourse, point de séjour à Paris ! Le sort de la majorité. À vingt cinq ans, je me croyais bien loin sur un joli cap nommé « Cod » au large de Boston ! Chante mon Dubois : « Le monde a changé tit-loup ! » Oh oui.
Voyez-moi au soleil, au bord du Rond, dimanche, avec un de mes cinq petits-fils, Gabriel. Lui, à vingt-cinq ans, il a bourlingué déjà pas mal : aux Fêtes, il était en Guadeloupe et là, en long congé de prof (il enseigne la musique), il me revient… d’Hawaï !
On a jasé, b’en, lui surtout ! Des beaux flots turquoises polynésiens, des montagnes aux lourdes frondaisons tropicales, des volcans, des vagues énormes de l’océan pacifique, des longues plages de sable blanc : « oui papi, comme du sucre en poudre ». Écolier, ce fils de ma fille, avait vécu, en France, (les échanges d’écoliers) sur une ferme moderne dans le Bordelais. Il y a pris, jeune, les bonnes manières de s’adapter, de s’intégrer. « Tu sais, papi, ce fut alors « l’initiation » pour apprendre à vivre loin des siens, loin de son chez soi ».
Gabriel garde des souvenirs très heureux des guadeloupéens : « Oh oui, un monde très chaleureux, perpétuels sourires, incessantes salutations partout, offres spontanés de soutien. Que j’ai aimé cette île française. » Il me raconte les expéditions dans la nature tropicale, serpents, tortues, oiseaux, etc., aussi ces perpétuels cris des « coqs-à-combat », les déroutantes expressions en leur créole à eux, la bonne bouffe de ces « français exilés ». Bref, du dépaysement pas mal plus marquant que moi à Provincetown, Mass, en 1960.
Ainsi, je le sais bien, les nouvelles générations se remuent, déménagent à « avion-que-veux-tu » sur le globe. Comme jamais. Un voyageur me disait : « Aujourd’hui, tu te rends n’importe où dans le monde, vraiment n’importe où, en Islande ou au Laos, et tu peux être certain de croiser un Québécois ! »
Est-ce dans notre ADN avec tant d,Ancêtres explorateurs ?
J’entend parler d’aubaines formidables via le web, de jeunesses qui consultent certain sites de la Toile où on déniche, semble-t-il, des « sauts de puce » (de ville à ville) offerts à vraiment très bon marché. Des billets d’avion à des prix incroyablement bas. Les temps changent, tit-Loup, oui. David, grand frère de Gabriel (et l’autre écrivain de la tribu ), boursier, a séjourné longuement d’abord à Cristobal (Mexique du sud) et puis à Bogotà (Colombie), —il baragouine l’espagnol. Quant à mon Laurent, « l’enfant du milieu », tiens, il rentre de Cuba !
J’avais 50 ans (1980) , moi, quand j’ai traversé l’Atlantique pour la première fois !
Quant aux deux fils de mon fils, Thomas, se trouve en Thaïlande au moment où j’écris mon billet. Là ? Là où se déroula cette lugubre histoire de deux québécoises empoisonnées, aïe, Thomas, touche pas aux cocktails ! Enfin, quoi dire « des voyages de « Gulliver-Simon », Simon, l’aîné ? Tout jeune représentant pour une machine belge (anti-pollution) Simon Jasmin trotte et est en train, ma foi, de faire le tour du monde, du Qatar à l’Argentine, du Brésil au Koweït. Un jour il est à Berlin, un autre il est en Italie ! Je le fais sourire quand je lui dis que ce « cinq heures de route » —Ogunquit-Maine— m’a fatigué !
« Ah vous! On vous entend plus gueuler. Terminées le polémiste ? » Ça m’arrive de telles rencontres car on s’étonne de me lire, ici, gentil et affable. Chantre béat de la nature laurentidienne. Il y a eu d’abord cette relative surdité qui m’a frappé il y a une dizaine d’années, forcément, ce sera la fin des invitations en médias de « M’sieur-grande-gueule ».
Il y a eu aussi —ô vieillir— la découverte du bon statut de « sage » (relatif cela). Arrivé à un certain âge, les grands combats, les farouches luttes se relativisent —c’est le mot clé. En vieillissant une personne un peu équilibrée se rend bien compte de la vanité de maintes querelles; du côté « éternel retour » oui, cher Frederich Nietzsche !
Alors, oui, plaisir fécond nouveau chez l’ex-batailleur, la découverte de petites joies bienveillantes, ressourçantes stimulantes aussi. Oui, oui, ce bon bonheur bien vrai de chanter —en chroniques paisibles— les beautés, modestes ou grandioses, de la p’tite vie ordinaire : la nature, les petites gens, les us et coutumes de son entourage quotidien.
Jeunes gens qui manifestez —enragés noirs ou seulement scandalisés— bravo ! Sortez dans la rue et criez, dénoncez, enflammez-vous, c’est un signe de vraie jeunesse, de bonne santé civique. Ne lisez pas ceci : vous aurez 80 ans un jour et vous sourirez de vos emportements. Sans les renier. Une vie comporte des moments, des stades, des tempos mais malheur aux jeunes gens amorphes, indolents, jamais inspirés, jamais fouettés, jamais emportés le moindrement, jamais révoltés, ils auront une fin de vie à la mesure de leur triste désintéressement; ils feront « de vieilles âmes » tristes, mornes, vivant « leurs vieux jours » dans une sorte de limbes, de vie plate, d’existence incolore. Le salaire, la pension des mous !
Le bonhomme Charest a donc osé « jouer aux cartes » en plein été et voilà la nuée des vains commentateurs en liesse.
Ouash !, la redondance effroyable. RDI et LCN, une vraie farce plate où l’on répète jusqu’ à la nausée le moindre pet lâché, le moindre rot, la moindre grimace, le moindre petit mouvement. Quelle pitié. Les citoyens, pas fous, constatent ce vide, ce faux remuement.
La vie actuelle par ici, en pays développés, partout en occident, est une affaire d’administration. Adieu idéologies ! Adieu idées neuves. Une simple affaire de budget, d’impôts et de taxes à contrôler ou non. La nation offerte aux comptables, et, pour colorer le tableau, avec des petits cris, de soudaines accusations, un mot de travers… Mais pas de place pour les idées, alors le socialiste Québec-Solidaire semble obsolète, hors circuit et sympa. Les Libéraux de Québec, empêtrés de corruption, promettent calme et développement, c’est tout entendu. La CAQ de l’ex-péquiste et entrepreneur Legault fait voir « les deux pieds sur terre » et je voterais bien pour eux mais, rien à faire, un vieil indépendantiste comme bibi va chez Marois ou chez le petit nouveau. Une cause est sacrée. Mais le reste c’est la niaise foire. Criailleries qui me dérangent, cirque ennuyeux.
Vite, le 4 septembre, Seigneur ! Comptez-vous les « administrateurs » et la paix ! Silence, j’ai mes livres à lire (et à écrire), moi, mes bons films à visionner (Télé-Québec et ARTV). Mes petits bonheurs : oiseaux fous, fleurs folles, canards, tous nos vifs nageurs sillonnant le lac de bord en bord en combinaison noires, vrais Spidermen, Batmen ! En ce moment, on roule, rentrant —rituel annuel— du si bel Atlantique en Maine, j’avais l’ennui de mon village me taraudait.
UN VILLAGE À PART ?
Chaque village a sa marque. Sa note, son ambiance. Il y a un monde entre Saint Sauveur avec sa vraie « rue St-Denis », grouillante de restos, sa rue De la gare et ses boutiques, sa belle église de pierres, son actif centre commercial et, disons, Sainte-Marguerite. Ou Val Morin, Saint Adolphe.
Il y a donc Val David. Ce village où, m’assure-t-on, il y a des tas de créateurs. Modestes artisans ou artistes de divers ordres. Où il y aurait même un ashram hindouiste pour méditer ou jeûner, oui, Val David ne ressemble à aucun autre. Ce fut cette ultra populaire boite à chansons longtemps, feu Le Patriote.
Pas loin de l’église (banale hélas), on y verra un vieux logement tout retapé où l’on présente des expos. Ces temps-ci, deux lots : dans l’entrée, Bernard Chaudron. À ses fours, Chaudron ferraille depuis un demi-siècle en son atelier de Val David. Il a pondu des trésors d’une joaillerie solide, ferme, sans affèteries niaises, jamais.
Dans d’autres salles, surprenantes bêtes géantes ! C’est signé Beaudry et Isabelle. Le mot sculpteur ne convient guère pour ces deux bricoleurs étonnants, le mot modeleur pas davantage. Allez vite voir ce grand rapace aux ailes grandes ouvertes. Ou ce taureau, cornes basses, chargé de chaînettes d’acier, manteau armé, couverture métallique étonnante. À l’étage, voyez ces poissons géants, corps insérés de lucioles aux luminosités troublantes. Ces amusants exhibits ferrugineux relèvent du monde du design et même de la décoration. Ils plaisent, n’ont rien des bidules surréalistes des créateurs « géants » à Venise ou à Frankfurt.
Ces jolies bestioles feraient bel effet en des édifices (ou places) publics. Bien mieux que cette kioute « guidoune » dorée d’un art conventionnel que des malins (aux USA) veulent offrir « gratis » aux candides dirigeants du Parc Olympique. Manœuvre ou astuce commerciale bien louche à 50,000 $ l’installation ! Une pétition circule s’y opposant et je signe volontiers. La Ministre Christine St-Pierre se réveillera-t-elle ?
Aussi, à Val David deux sites rituels : un, la vaste expo de mille et une céramiques, dehors, chaque été et, deux, le site naturaliste en plein boisé du graphiste René Derouin. Voyez ses panneaux peints (naturalistes encore) tout autour des murs du supermarché du lieu. On y voit oiseaux, poissons, bosquets contre des ciels nuageux. Ouvrage rare n’importe où dans le vaste monde. Chapeau ! Oui, Val David ne ressemble ni à Ste-Adèle ni à Ste-Marguerite, patelin « à part » qui a de bonnes raisons d’être fier.
Le divin croque-monsieur, coin Valiquette et Morin, au neuf resto-bar, « Garçons », ce midi-là. Puis, au soleil —non mais quel bel été !— J’entends « pratiquer » des tounes de rock au parc voisin car c’est samedi. Au lac, dix canards —foin de mon hibou-Rona et de la tourniquette dollarama— chient à cul que veux-tu, hélas. Pataugeant, je regarde filer —parfois j’en sursaute— des têtes émergente, des bras comme métronomes, de ces noirs nageurs à souffle inépuisable. Des figures olympiques, c’est « Londres-2012 » au lac Rond. Moi avec ma saucisse de plastique jaune, je croule de honte face à ces athlètes vigoureux. Oh, le poids des ans !
VOTRE CHRONIQUEUR EN LARMES !
Dans sa petite chambre d’hôpital, ce dimanche, l’ami Paul Buissonneau me raconte d’où il sort. D’abord, à son loft du Canal Lachine, ce coma subit. « Claude, quand je finis par me réveiller à l’hôtel-dieu,—où suis-je ?— se faufilait dans des rideaux bleus, une étrange silhouette, cheveux longs et barbe blanche ! Effaré, j’ai peur, suis-je mort, est-ce le bon Dieu en personne, ou un elfe magique ? Eh bien, j’apprendrai que, chaque année, un itinérant vient jouer le Père Noël pour les patients. »
Anciens-jeunes si vous aviez vu, en jaquette, dimanche, à l’Institut gériatrique —de biais avec l’Oratoire—, le célèbre « Picolo » de la télé. Paul fut mon « premier » patron —pour La Roulotte des parcs. Mon webmestre, Marc Barrière —allez voir à à claudejasmin.com— a mis « en ouverture du site » votre chroniqueur sur La Roulotte en collant noir, carabine de carton en mains, qui joue en dansant, sur du Prokofiev, « Pierre et le loup ».
D’abord Paul nous raconte son effrayant calvaire et soudain, comme lui, avec lui, j’éclate en sanglots ! Raymonde toute bouleversée devant deux vieux compagnons en « bout de piste » de la vie. Mouchoirs de papier. Merci. Calmés tous les deux, Paul ouvre un cahier et lit un de ses contes. Folle passacaille sur l’amour ! Un texte émaillé de titres de toutes les chansons d’amour connues. Un bijou ! Ah oui, mon cher Paul va mieux. Ce devenu fervent « montréaliste » fit le tour du monde, alla au « Ed Sullivan’s show » à New York, accompagna l’inoubliable Édith Piaf avec des « Compagnon de la chanson ». Paul deviendra le fondateur du « Quat’ Sous ». Son étonnant don —vrai génie visuel— pour la mise en scène fit de lui un incontournable initiateur, annonçant ces Robert Lepage. Né plus tard, c’est certain, Paul aurait été « le cœur » du triomphant et planétaire « Cirque du Soleil » Ce bûcheur, novateur, ce rigoureux gueuleur s’est épuisé. Sachez qu’un Jean-Louis Millette ou feu Claude Léveillée, et tant d’autres, répétaient : « Paul a été mon maître ».
À 86 ans, le voilà remis sur le piton et ce dimanche après-midi, « le vieux maître » a eu des éclat de rire tonitruants. « sois attentif, mon vieux, la vie c’est précieux, formidable » ! Yeux séchés, ce sera l’album imaginaire : par exemple, sa rue Mouffetard, lui en gamin de 13 ans, ouvrier. Et Paris sous les bombes ! Guerre finie, l’adolescent est apprenti acteur-chanteur. Surdoué, ce jeune « misérable » hugolien vaincra le mauvais sort, Cinq ans de gloire. 1950, amoureux d’une Québécoise, il s’expatrie et le voilà vendeur « à 15 piastres par semaine chez Archambault » quand le directeur des Parcs, Robillard, lui confie (!) un camion municipal, qu’il devra métamorphoser en théâtre ambulant pour enfants des étés-en-ville. Dès 1953, « Variety », un magazine super-prestigieux, lui tresse une couronne de fleurs !
Dans un modeste pavillon de briques (là où se dresse le Stade Olympique) Buissonneau nous faisait répéter ses premiers spectacles, de Orion le tueur —j’y jouais quatre rôles— aux « Oiseaux de lune ». Aussi son inoubliable « Tour Eiffel qui tue ». Paul renouvelait un art du théâtre inédit et, un jour, il achète une synagogue (Avenue des Pins). À payer avec ses cachets du « Picolo » de la télé-jeunesse.
Viendra donc ce terrible coma puis une sale bactérie « mangeuse »… la vision du ce lutin noélesque ! Mais la joie dimanche de lq revoir blagueur, par exemple évoquant ce gourou hindouiste, Rampa, auteur du « Troisième oeil », Un voisin malcommode à Habitat’67 et qui l’engueule ! Excédé mon Paul lui gueulera : « Lobsang, je vais t’le péter, moi, ton troisième œil ! » On rit. Fous souvenirs. Que Dieu te prête longue vie, je veux lire tes contes d’un ordre spécial. Vous ?
Soudain elle a eu les yeux —comme on dit— pleins d’eau. J’étais mal. Je regrettais mes paroles. Il y a que… ça ne cesse pas autour de moi : « Vous ne pouvez pas rester encore bien longtemps ici ». J’en parle. « Raymonde, combien de temps encore ? » Elle : « Tais-toi, je ne veux pas m’en aller d’ici ? » J’ai dit : « On jase là », en Guy Lepage. J’ai songé à toutes ces « vieilles personnes » obligées un jour de « casser maison ». Tout quitter de ce qui fait notre décor quotidien, nos choses à soi, amis, voisins. C’est qu’il y a l’entretien —pelouses l’été, la neige l’hiver. Si vous voyiez ma cave : un capharnaüm !
Quoi, toute vie a ses cruelles échéances. « Sort humain » répétait un personnage de Mia Ridez. Je pense à tant de « déménagés » malgré eux dans tant d’hospices. Notre tour approche : devoir quitter où nous sommes heureux depuis 34 ans. Ne plus revoir certains voisins, tourner le dos à nos commerçants familiers. Devoir oublier nos arbres, plantés souvent de ma main —j’ai eu 45 ans une fois ! Adieu fleurs, oiseaux, écureuils-acrobates fous. Adieu marmotte à qui je jette du pain si souvent. Adieu cocasses rats musqués, adieu si jolie famille de canards. Adieu anneau de neige, cirque archi lumineux au soleil pour balader humains et chiens…
« Écoute, chérie, on s’essouffle à rien, non ? » La compagne proteste, gestes du refus. Nous en aller dans un condo en ville et fin des soucis ménagers. Vivre comme à l’hôtel. Terrasse, piscine, resto. Vie d’ hôtel ! Bientôt faudra vendre « le char », adopter le commode transport-en-commun. Et taxis. Revoir nos stations du métro. « On ira au théâtre plus souvent, toi qui aime tant ça ». Le temps ! Juin 1973 et ma compagne —enfant de la rue Rachel— découverte d’une aubaine, notre maison à 25,000 dollars ! Pour Raymonde, c’est « le chalet » car, la semaine, c’était boulot. Réalisation des Dubois, Chaput-Rolland, Payette, longtemps, de Lévis-Beaulieu. « Le chalet » cette grande cabane en déclin gondolant, cinq chambres à l’étage. Puis, retraitée comme moi, ç’est le « home sweet home », le statut de « villageoise. Alors, tu y songeras : nous en aller où il y spectacles divers, cinéma dit de répertoire, mille restos, aller enfin à ces festivals —jazz, humour, films. « Non, jamais de la vie, impossible. » La voir si triste : « Okay, on y repensera. » Tenir…Un an ? Deux ans ? Ne plus aller marcher Avenue Chantecler, ni faire « le tour du lac ». Dire adieu à mon « Calumet-journaux-magazines », Ne plus rigoler avec les postières, ni avec le boucher ? Dire adieu à Fusion aux ses appareils modernes, adieu à ma piscine de l’Excelsior ? A mon École Hôtelière, à l’hebdo Pays d’en Haut ? Bon, on oublie ça, on fera appel à des gaillards juvéniles. Le printemps dans… deux mois et on reverra les mésanges, des pics noirs, le rouge cardinal, nos tourterelles tristes. Rester, facile à dire. Rêvons qu’on ne vieillira plus ! L’on s’attache, à ces collines, jolies. Une « petite patrie » ? Exactement cela.
Sale jour de Noël pour ceux qui l’aimaient. Meurt Guay le 25 décembre à Québec. Le landerneau québécois des lettres garde un souvenir embarrassant du récent disparu. Soudain, éclairs et tonnerres dans le ciel littéraire, des années 1980. Une prose cruelle surgissait, méchante, indiscrète : celle du Jean-Pierre de Beauport. Éclatait un phénomène : des tomes et des tomes de journal intime rédigés férocement, avec une rare folie.
Jean-Pierre Guay, jeune poète doué, coureur de bourses et de subventions, élu Président de l’union des écrivains, entra soudain en une guerre ricaneuse. Impudique, Guay dévoilait tout et, ainsi, blessa ses confidents, certains gravement. « Journal » devenait très vite « the talk of the litteracy establishment ». Et pas qu’un peu.
Férocement ricaneuse, ciblant tout « le milieu littéraire », Jean-Pierre avait un vrai génie pour inventer des néologismes désopilants, décapants aussi. Sa talentueuse (tueuse !) mitraille de mots inventés m’éblouissait. Certes, il m’avait mis avec Les menteurs, les « bloffeurs », un écrivain quoi !
Vieilli, amusé, Pierre Tisseyre éditait tome après tome, ses brûlots fous. Puis il se lassa et stoppa. Guay, diariste privé de son poison revitalisant s’étiola, s’isola, finit par disparaître. Nous étions tous sans nouvelles puis, soudain, le 25 décembre : trouvé mort ! Adieu camarade, vole, vole, avec ces oiseaux de ton Beauport.
Claude Jasmin
Écrivain, Sainte Adèle.
Avoir vu quatre canards au rivage, qui tournent en rond, contournent des parties glacées du lac. Piégés ? Déséquilibrés ? Ils ne s’exilent donc pas, des sédentaires attachés à nos lieux ? Mystère. La météo varie tant en décembre; oui ou non, la glace va-t-elle mettre sa nappe blanche sur l’eau noire ? Un matin, oui, c’est pris, le lendemain, redoux, c’est le lac liquide partout.
Plus d’oiseaux ! Ah, revoir encore de ces boulettes plumées qui voltigeaient tout autour, c’était une fête.. J’ai beau aimer les petites bêtes, je garde l’œil ouvert. Tiens, l’Empire Desmarais —Suncor— se retire ( bien tard) de la Syrie du Assad-le-tueur. Attente impatiente des commerçants du nouveau régime ? Non, il n’y a pas que les canards dans la vie, devoir rester informé, lire deux quotidiens par matin). Ces hypocrites lamentations des relationnistes stipendiés. Cette Cynthia Vanier, rédactrice esclave chez SNC-Lavalin qui avait rédigé un rapport louangeur sur la « sainte famille Kadhafi ». Un milliard en contrats. Cynthia, dans la déroute du tyran, s’activait pour l’installation au Mexique —et à Toronto— d’un fils-héritier du dictateur. La voilà en prison au Mexique !
Quoi encore ? Avoir entendu ces prudents l’autre soir chez Miss Bazzo (déguisée en travesti) à Télé-Québec. Oui, ses chers chroniqueurs en face à la (mignonne) ministre Lemieux. Pas un mot sur les « enveloppes brunes » de la collusion aux bureaux du parti libéral. Pleutres, couards ! Voir aussi un Stéphane Roy, autre valet plumitif chez Lavalin, qui questionne : « Cynthia Vanier ?, comment pourrait-on dealer avec ce nouveau gouvernement Lybien ? » L’Isabelle Hachey (La Presse), candide reporter : « Mme Vanier a été naïve. » Ouash !
Je guette un écureuil énervé car visé par le matou voisin. Puis j’observe ce chien errant tout excité par un toutou de laine blanche et mal tenu en laisse. Dehors, dedans. Oui, je lis tout : ce retraité d’une multinationale donnant un sermon en tribune libre (La Presse) : « Oublier donc le français, dit René Miglierina, le monde réel est anglophone partout en OCCIDENT ». Ce René recommande d’ouvrir la Loi 101 mais pour y fourrer les droits de l’anglais ( tel quel). Faudrait jeter l’espagnol, l’italien et l’allemand ? De la merde, Molière, Cervantes, Dante et Goethe ! Ensuite, lire qu’un criminologue, Ribordy, ridiculise la loi sur les armes à feu que le Bonhomme Harper veut scrapper. « Nullité, gaspillage, dit Ribordy. Ailleurs, lire Sophie Durocher, jugeant Véronique Cloutier, rancunière qui boude le Journal de Montréal. La chroniqueure nous recommande : « Derrière l’État-Desmarais », livre de Robin Philpot. Le silence partout sur cet écrit, celui d’un Alain Gravel (Enquête), d’un Guy A Lepage. Louche cela non ? Mais soudain, dehors, roulent des bosquets de brume. L’horizon de nos collines tout enveloppé de tulle, marquisettes de ballerine? Rues et routes fantomatiques, le village en est spectral ! Plein de nuées vaporeuses et qui bougent … beauté scandinavienne en Laurentides. Rentré et lire : « Que cinq ans avant la catastrophe écologique, a^près ce sera l’agonie de notre planète »! Eh maudit !, est-ce que je lis trop ?