La lune, je ne l’ai jamais tant vu depuis que je vis « dans l’nord ». Je ne compte plus les soirs, les nuits — et sur les quatre saisons où la charmeuse m’a montré ses charmes, sa blanche lumière. Pourtant la lune se montre partout. Eh bien, mystère, je l’ai vu bien rarement quand, plus jeune, j’ai habité ma vieille rue St Denis, Ahuntsic et puis Bordeaux, enfin, rue Cherrier et rue Querbes. C’est rue Morin que je peux la contempler tant que je veux. Le ciel fascine, c’est entendu et j’ai eu un télescope qu’hélas je n’ai jamais su manœuvrer !
Plus loin que la lune, accès au cosmos bientôt ? Oui et j’i hâte. Écoutez bien ça : il n’y a pas très longtemps, des hommes de science viennent d’envoyer un message vers… Disons, le lointain. Expédié de Porto Rico (à côté !), notre message est parti vers trois soleils proches dans cette constellation. Pourquoi cet envoi ? C’est que nous avons reçu un message, nous, d’abord et, on ne savait pas trop comment réagir, impolis que nous sommes ! Ce message sonore nous arrivait de la constellation du Sagittaire ! Clair que c’est bien éloigné de ma chère lune ! Ce signal venait de gens —humains de quelle sorte, êtres vivants évolués de quelle espèce ?— qui vivent donc hors des planètes de notre galaxie. Un astronome, Jerry Ehman, prof à l’université de l’Ohio, dit que le message a duré 72 secondes. C’est bref mais, attention, Ehman dit qu’il état trente fois (30 ) plus fort que tous les signaux du cosmos de jadis.
Restons aux aguets bien que ce signal envoyé va mettre entre 50 et 150 ans avant de parvenir chez « madame Sagittaire » ! De quoi est-il fait ? Trois choses : 1- 10,000 Twitts, 2- des documents de Geographic magazine, 3- des vidéos de vedettes d’Hollywood ! Afin que nos amis inconnus sachent que ce stock est « intelligent », il ont encodé à répétitions. De ces trois soleils en Sagittaire, il faut savoir que les astrophysiciens —télescope Arecibo— ont pu cibler des planètes habitables comme la terre. Vu ce fort signal de 72 secondes, certains savants espèrent que cette nouvelle tentative —notre 10 ième— sera la bonne. Un rabat-joie parle d’un message venu « d’un trou noir », issu donc d’une collision entre galaxies. Zut
Amis lecteurs, vous avouer que de 1970 à 1975, je fus grand amateur de mondes parapsychologiques. Une passion brève qui m’apportait du plaisir. Le peu de matière « en cette matière »…car on raconte sans cesse les mêmes phénomènes m’éloigna de ces curiosités. Ce signal reçu —hors-notre-galaxie— de 72 secondes, c’est pas rien, m’a comme réanimé un brin ! En attendant un écho venu de Sagittaire, dans nos jolies collines, je me couche très rarement sans regarder le ciel pour saluer dame-lune dans mon coeur, tout reconnaissant pour sa lumière envoûtante. Elle m’est un vrai baume quand un ami meurt. Tel, cette semaine, l’époux de « la grande Françoise », mon vieil ami du Lac Marois, Jean Faucher. Que « La lumière des Lumières » reçoive son âme !
1-Moins de bruits, matins comme soirs, c’est certain.
2-Fin des rues achalandés, impassables et bouchonnantes.
3-À portée de…pieds : que de beaux sentiers enneigés.
4-Choix vaste de restaurants et souvent coquets.
5-Une École Hôtelière aux offres parfois raffinés.
et
6-Deux sérieux hôpitaux moins encombrés.
7-Dénicher un lac proche et s’y promener au soleil.
8-De grands marchés aux denrées si diversifiées.
9-De solides cliniques avec personnels compétents.
10-Plus facile de « socialiser » entre voisins.
et
11-Facteur, déneigeur, éboueur, on peut parler avec.
12-Moins de stress, pas « d’heures de pointe » énervantes.
13-Pas de collants et encombrants colporteurs à nos portes.
14-Vues sans cesse stimulantes en pays de collines.
15-Architectures moins monotones et plus libres.
16-Moins de bruitage métropolitain, leurs stridentes sirènes.
17-Pour, à Val Morin, le petit théâtre au menu varié.
18- pour les nombreux écrans du cinéma Pine.
19-pour les expos parfois audacieuses de Val David.
et
20-pour le bon vieux « Patriote » de Sainte-Agathe.
21-pour le faste parvis d’animations saint-sauverien.
22-pour. Là, la féérie hivernale des lumières des côtes.
23- pour, là et à Ste Adèle, les théâtres gais, l’été.
24-pour mon cardinal, colibris et jolis geais bleus…
et
25-pour mon couple serein de tristes tourterelles.
26-pour, sous la galerie, ma marmotte cachottière.
27-pour mes beaux rats sous le quai, , bien musqués.
28-pour la chatte, pourprée ça et là, de ma voisine.
29-pour l’ours bleu du Sommet Brun, non, l’inverse !
30- pour tant d’écureuils trépignants aux sapins.
Enfin :
31-pour les poissons rouges à la belle plage publique.
32-surtout, pour l’air vif dépolluant et en quatre saisons.
Novembre s’en vient. C’est le mois le plus laid (avec mars ?). C’est le mois entre l’automne et l’hiver. J’aime l’hiver. J’aime sa lumière unique. Le répéter : avec la neige le soleil par ici est bien plus beau, bien plus lumineux que celui de tropiques. Apprécions cela. Mars, comme novembre, est lui aussi entre deux saisons, entre l’hiver et le printemps. Cela fait que novembre donc est un mois plate, mou, flou, indécis, « branleux », inconsistant, boueux, sale. Il s’en vient.
En attendant, aller marcher dans la lumière, aller musarder dans les coloris flamboyants, dans ces gigantesques pots de fleurs que sont les arbres d’octobre. Cela va s’achever. Il n’y aura plus que troncs et branches, tableaux de Dubuffet, plus que traits bien raides, gifles au ciel, des ossatures à l’air, armature froide et sèche, agressives structures muettes et bêtes, tous nos arbres sans les feuillages. Des os sans la peau, des crânes sans chevelures.
Soudain, cette semaine, après tant de jours gris et palots, du soleil ! Et pouvoir nager dans le grand bain aux eaux chauffées de mon auberge « Excelsior ». Comme un coup d’été en octobre. Bon pour ma jambe droite, ma « patte folle », hydrothérapie à l’eau bénite, ma foi du bon yeu ! La joie, sur les balcons du « Excelsior », des visiteurs bavardent joyeusement, dégustent des apéros, jouent aux cartes, les corps baignés par l’astre solaire, c’est octobre mimant, jouant juillet ! Merci le ciel ! Je me sauce donc chaque après-midi avec plaisir, gigotant en attendant (d’un jour à l’autre) cette « infiltration » promise par mon ortho, le Dr Makinen, de l’hôpital Notre-Dame de Saint Jérôme. Oui, oui, un jus « miraculeux » selon mon toubib Saint-Pierre (c’est son vrai nom ). Bientôt, je quitterai donc enfin ma canne, jolie pièce de bois vernis qui me venait de mon père mort et qui lui venait de son grand frère le missionnaire; ma canne a donc frappé les sols en Mandchourie, côté mongolien. En Chine du nord, chère à madame Marguerite Duras. Une pièce de musée ?
Je ne vois plus nos canards, ni nos rats musqués, la grasse marmotte, ma Donalda sous l’escalier, reste tout aussi invisible. Hibernation de tous ? Nous les humains, pas d’endormitoire, devoir affronter bravement les froids qui viendront. On est « équipé pour », vous me direz. Vrai. Prendre rendez-vous bientôt pour les pneus d’hiver, le signal fatal cela… Oui, la routine des saisons par ici et je suis content d’en voir défiler quatre (4 !) chaque année. Cela doit être « ennuyant » de vivre douze mois sur douze sous la même saison, non ? Ici, c’est une sorte de divertissement aux quatre mois. Une chance, je crois, mais oui un bonheur, la diversité.
Octobre donc : là-dessus, partout anniversaire, lugubre pour la famille Laporte, de cette « crise » en 1970. Terrible agacement d’avoir terminé ce roman de Louis Hamelin ( « La conspiration du lynx »), si bien écrit mais si envasé dans une demi-fiction. Récit vivant mais aux flous à la sauce « sordide complot » ( comme chez Pierre Vallière et Jacques Ferron). Un conte noir en mode « conspiration diabolique ». Octobre donc, désormais à vivre ici, maintenant, « aujourd’hui même », avec, plein ma fenêtre, devant ma vieille table poquée, trois longs érables aux mille orangés, si beaux mais qui brunissent vite en oranges brûlées et qui vont tomber à terre demain…
Il y a peu, ces beaux jours en guise d’été indien en retard. La rue Bernard pleine de dîneurs aux tables de ses terrasses. Bonheur des yeux. On y alla, Raymonde et moi, un midi, pour le croque-monsieur de la Moulerie, un autre midi, pour le cher smoked meat de Lester, ses cornichons à l’aneth. Invités à souper à Mont-Royal sur Simcoe Circle chez l’ex-cynique, grand sec d’Orléans, André Dubois, mon amoureuse cherche un présent à offrir à Mimi divine cook. Elle file vers ce magasin de cadeaux pas loin de chez Lester. Que d’offres cocasses là ! Un lieu féerique. Un caverne d’Ali Baba ?
Le soleil donc. Partout. Courses…au marché si varié des Cinq-Saisons puis à la banque. Aussi à cet autre magasin-à-cadeaux, sosie du Mille-Feuilles de la Laurier, une papeterie inouïe côté sud de Bernard. Encore là, vaste choix aux rayons garnis d’inventions légères pour cadeaux divers. Dont un des jeux de société de mon designer de fils, Daniel. Des tablettes débordantes aux joyeuses inutilités bien agréables. Embarras du choix toujours et toujours, dehors, ce soleil d’été étonnant !
Qui va là, square Madeleine-Ferron ? Est-ce bien mon Tit-Louis, lui qui était avec nous tous au 42 Avenue des Pins en 1948, l’annexe de l’École du Meuble. Où il tambourinait sans cesse. Sur tout et sur tous. En maniaque fervent des rythmes. Eh bien, prévisible, Louis deviendra « le » célèbre timbalier —éméritus— de l’OSM. Louis Charbonneau, aujourd’hui retraité, a gardé même visage et même sourires. Je passerai acheter magazines et journaux chez l’aimable maghrébin-québécois en sous-sol du Manoir d’Outremont. Je donnerai de mes livres à Claude, la bibliothécaire du lieu et aussi on petit-déjeunera avec mon cher beauf’ Jacques, tous ravis de ce répit à jours chauds.
Outremont comme un village. Lieu familier où l’on est bien, d’où nous vient ce bon petit bonheur ? Urbi bene ibi patria, disait les pages roses du Larousse : où on est bien, là est la patrie. Ah nos petites patries en cours de vie ! Je me suis souvenu —vacances d’antan— les si belles longues blanches plages du New Jersey, jusqu’au Cap May, et, pourtant, au retour, le contentement très profond de retrouver sa petite géographie familière. Aller à Paris, métropole si fourmillante visuellement, si riche en décors historiques et puis, au retour, éprouver le bon grand bonheur de retrouver son monde, ses vues, ses familiers contours du quartier où l’on vit, adopté. Même chose si tu vas à Londres, tu as vu les berceaux de tant d’histoires nous concernant souvent tant de monuments célèbres mais, revenu chez toi, c’est la très grande satisfaction. À Rome aussi, tu peux voir les antiques sites du temps d’un vaste Empire disparu, des trésors architecturaux fabuleux, et, revenu at home, tu te sens si bien, si heureux.
Ma parole, le vieux poète, Louis de Ratisbonne avait donc raison ? On lisait : « Nulle terre n’est si douce que la terre où nos sommes nés ». Faut le croire ? Et mon grand Dostoïevski, exilé un temps, qui déclarait « qu’il n’y avait pas pire malheur que d’être apatride ». Vrai aussi ? Mon fier camarade, Dany La ferrière —Prix Médicis à la boutonnière— ne cesse-t-il pas de gratter son grave bobo haïtien ? La fuite. Enfin, le soir restant chaud, on s’attable au «plus que parfait » Petit Italien et on a vu Martineau-l’excellent-tireur-fou (et franc) en actualités qui minaudait avec une belle enfant, pas loin, Pierre-Karl Péladeau, lui aussi avec une jolie fillette, et tous les passants, rue Bernard, souriaient à cette inattendue pause d’avant les neige
J’aime revenir dans ce quartier d’Outremont que j’ai longtemps habité, rue Querbes et Saint-Viateur. Ce matin-là, je marche dans le parc, ma blonde est à ses courses chez Cinq-Saisons. J’observe les ronds futiles — des gamins qui me fuient — dans l’eau du joli bassin du grand parc.
Ce jour récent, ô canicule terrible !, qui j’aperçois sur un banc ? Lui ? Claude M. Le nez en l’air, sa grosse canne le long de sa jambe, le crâne sous l’abri de paille d’un petit chapeau comique. Lui ? Oui, lui, je ne rêvais pas.
Il y a bien longtemps que je ne crois plus aux revenants. J’avais aimé cet homme, mais il y a si longtemps de ça.
Là, m’installant carrément à son côté, je pouvais revoir, en chair et en os, un disparu. Un mort ! La berlue. Je rêve. Je dis au petit vieillard qui, pas trop surpris, m’examinait en souriant comme jadis : « Veuillez m’excuser de tant vous examiner, m’sieur, mais il y a que vous ressemblez comme deux gouttes d’eau (c’est bien ce qu’on dit, non ?) à un homme à qui je dois beaucoup. Il se nommait Claude Melançon. »
Le petit vieillard retire son chapeau, le pose sur le banc, me fait un sourire tout chaud et, guilleret, me déclare : « Mais je suis Claude Melançon, cher ami. Et je vous reconnais.»
C’était impossible, le père de notre jeune camarade des beaux-arts, Malou, était certainement enterré depuis des décennies. Ce personnage (longtemps haut cadre du CN) était un naturaliste émérite qui publia sur « Les oiseaux de nos arbres » et « Les poissons de nos eaux arbres ». Ce papa de Malou rue Querbes, nous accueillait tous (les aspirants artistes d’une folle bohème) avec une vraie chaleur humaine. Nous l’aimions.
Un fantôme ? Juste pour moi. Voulant me réveiller, vérifier, je lui dis : « Qu’est devenu ce grand crucifix sculpté d’un art candide que vous m’aviez montré dans votre sous-sol, rue Querbes ? » Il se leva, alla jeter des papiers dans un panier, me revint : « Ah, ce crucifix, je ne sais plus, vous verrez, on perd tout de nos choses avec le temps. »
Il semble flotter dans l’air mon revenant ! Puis il me regarde de ses bons yeux d’un gris bleu et que j’aimais tant, moi l’aspirant crève-la-faim. Il avait encore sa douce et chaude voix, si amicale; « Alors la céramique ?, fit-il. Zéro ? Rien ? On a plutôt « façonné » des bouquins ? » Il savait cela.
J’en profite, jouant de candeur : « M. Melançon, on ne vous l’a pas dit en 1950, mais merci. Pour tout. Pour vos randonnés dans votre boisé à Knowlton au bord du Lac Brome, vos cours de botanique improvisés en forêt, si instructifs, surtout votre généreuse hospitalité dans ce « Proscénium », mini-centre d’art fondé par vous et vos amis.
Claude Melançon me dit : « J’aimais la ferveur de vos jeunesses, vos espoirs, vos projets flous, ceux d’un Marc Favreau ou d’une Marthe Mercure. »
En 1950, je ne savais pas que 35 ans plus tard, j’achèterais le 360 Querbes. En 1986.
Ému, je le vis disparaître soudain. Puis je vis notre noire Jetta sortir du stationnement du Cinq-Saisons. Je courus avertir ma Raymonde à propos de ce fantôme retrouvé. Elle examine les abords du parc, plus personne. Plus de Claude Mélançon sur le banc ! Juste un écureuil jaune, seul, tressautant, sautillant pour une noix offerte. Ré-incarnation de C.M. ? Cette brève canicule de fin d’août !
SORTIE DE SAISON
D’abord c’est sale. Partout. Rues et trottoirs recouverts d’un sable sali. Et puis rien encore aux branches des arbres; les pelouses, les jardins comme encore morts avec leurs lueurs jaunasses, funèbres. L’air plus doux maintenant nous fait pourtant espérer fort la venue -le retour- de la verdure.
Autre signe pré-printanier ? Les tournées d’inspection de chats comme réapparus. Il y a eu, je l’ai dit, celui tacheté de si jolis poils rouges; il y a aussi, le gros blanc aux zones orangées. SA première visite l’autre jour alors qu’il faisait nuit ! Ma surprise quand j’ai allumé la lampe jaune -qui chasse les moustiques. Tas muet dans son coin, gros paquet inerte sus une balustrade, sa fourrure à peine remuée sous le vent nocturne. Calme et gras félin…et qui veille ? Cette grosse bête, la queue et les pattes repliées sous le corps, bien assis au bout de la galerie, tête tournée vers le rivage, voit-elle à travers la noirceur ? Un galantin rendez-vous nocturne ?
Ou bien à quelle solitude familière se livre-t-il volontiers ? Ô le mystère du monde animal ! À quoi peut rêvasse un chat orange et blanc ? Enfin, j’ai revu mon cher vieux Valdombre toujours comme un peu ébouriffé. Il ne change pas. Il m’est revenu donc, toujours en faraud, illusionné. Il a fait le tour de la galerie, il a feint la force, ce port altier un peu ridicule, ce dos haussé, sa démarche d’officier nazi dans un film d’horreur… Tout de même, ces marques aux flancs, aux pattes, qui racontent fort bien qu’il n’en pas pour si longtemps mon tigre pour rire. Fin des mangeoires par ici, ces trois chats délivrés ainsi de fantasmes encombrants, reviennent donc constater…quoi donc ? Que ces maudits oiseaux ont fini de se foutre d’eux.
Bien loin de la vallée-aux-chats, au ciel, l’autre midi, deux lignes craquelantes vibraient. Ces cris à notre firmament, bien faibles et pourtant mais bien fortifiants. Que d’oiseaux géants qui filent… vers Mont-Laurier ? Vers l’Abitibi ? Ces appels émouvants au zénith, bien en haut de nos têtes humaines, le rituel grand voyage au nord de notre nord. Raymonde et moi on a levé le visage en même temps, nos yeux amusés de leur « v » gigantesque, nos regards en constatant -ligne ailée qui se brise, se reforme- la délinquance de ces migrants criards. On voudrait bien les accompagner en une pascale résurrection et ascension. Ciel, la volière de Dieu !
Non, on va rester par terre. Dans nos jolies collines aux éléphants ombreux et fauves encore mais qui vont muer en pachydermes aux camaïeux divers de verts ! On va surveiller les bourgeons bientôt et voir reverdir la flore laurentienne, cher Marie-Victorin ! Sept longs et beaux mois de « l’autre » beauté qui s’en vient, celle qui m’ordonne de ranger pelles et brosses, de laver les vitres, de défaire les lattes et le jute anti-neige, d’arroser le carré de bitume devant ma porte. De sortir du coffre du portique le cerf volant bon marché, la casquette légère, le cadenas de nos deux vélos…et d’y jeter le bonnet fourré, le foulard noir, les épais gants de cuir et les mitaines de laine. Et puis, sait-on jamais, voir arriver la chatte blanche et orangée avec un chaton dans la gueule ! Ou bien le tacheté de pourpre ! Pour Valdombre, il doit le savoir, il est trop tard. La marmotte Donalda, sortie de sous l’escalier, l’a frôlé un matin et, j’ai bien vu, pas un seul regard au tigre !
Matin. La compagne aimée fait le café. Aller aux journaux. Couloir, attendre l’ascenseur et regarder dehors. Au delà du viaduc le MacDo du coin offre son jaune signal, l’araignée courbée. Au loin, sur Crémazie, silhouettes des édifices de la FTQ, là où les économies des travailleurs se gaspillent, leurs dirigeants jouent les princes saoudiens. Très loin, les Laurentides font un horizon bossu. Clochette de l’ascenseur.
Mars va s’achever, tu viens beau printemps, oui ? Sur le trottoir du Phénix, ex-usine Kraft, des moineaux se tiraillent un croûton. Descendu de l’apic voisin, un chat surgit ! Fuite de la gent ailée. Un Labrador noir tire son maître vers le parc canin au carrefour. Allez acheter mes « nouvelles » bonnes et mauvaises. Cher marchand dans son abri sous le « Manoir d’Outremont» à côté du tout neuf « L’Image d’Outremont ». Jeu de blocs pour abriter chaudement, joliment, nos fins de vie. Devoir m’y installer bientôt et bien calculer où. Oui. Forcément.
Bon. Retour au nid, le café de Raymonde sent bon. Rayon solaire lumineux sur la nappe brodée. Drogue : devoir apprendre les misères du monde. Les malheurs. Kaboul ou Alma. Une fugue ? À Laval : infanticides encore ? Une bombe à Jérusalem. Le Darfour cule. Des enfants petits soldats. Photos. Serrer les dents. Un autre enfant a fui au Saguenay. Fiou, le fatras des chaudes actualités. On se fait excommunier, au Brésil par des célibataires froids en robe rouge. Pas de compassion. Re-crucifiez sans cesse Jésus.
Par nos fenêtres, la nature en attente. Au nord, ce côté « Sico-la-peinture » et, venant du nord, ces véhicules qui filent à l’ouest, au Centre-Ville. Notre Chemin Bates devenu autoroute. J’imagine d’autres embouteillages. À l’est comme à l’ouest, ou, rive-sud, les ponts engorgés. Mêmes matins de semaine d’une métropole. Effluves de gazoline mais, ici, le café est doux et le printemps s’approche. Cette saison si longtemps attendue par les gens des nord. Il aura ses camaïeux de verts sous son soleil revigorant. Outremont va mieux sourire, ses parcs frémir, ses promeneurs apprécier l’existence. Nous retournerons aux terrasses favorites. Oublié vite, l’hiver. On va vivre comme si l’été allait durer cent mois !
Je vieillis, hier, je cherchais encore un mot, le prénom de l’auteur de « La charge de l’orignal », vu au TNM avec le génie-Pintal et celui de l’acteur-Papineau, incarnant…qui donc ?, ah, je l’ai : Claude. Gauvreau. Avoir vu aussi le génie de Cyr et celui de la Drapeau au Rideau Vert « anthologisant » une mère névrosée vue par -encore un blanc de mémoire - Zundel ! Craindre le pire, un jour, ce quidam découvrant un noyé du Pont-Jacques-Cartier, et trouvant dans la poche de manteau du un bout de carton : « Mon nom est Claude Jutra, je suis cinéaste. » Frissons chaque fois que j’y pense. Découvrons le devoir d’être heureux. De louer le printemps à nos portes. « Si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie », cher Malraux ? C’était quoi donc son prénom ?
Je filais à ma chère piscine de l’Excelsior, quand je le revis qui marchait sur la 117, énergique, bras ballants, nez en l’air. C’était bien lui. Un familier anonyme. Chaque fois que j’en croise un de ces costauds aux yeux clairs, il me semble le connaître. Je le sais par coeur et j’aime cette silhouette gossée rudement. Vous le croisez souvent, c’est « le type laurentien », visage sculpté à la hache, faciès buriné. Son visage façonné par le cruel ciseau des vents d’hiver qui sifflent en nos collines.
Homme sans âge précis, mâchoires carrées, cheveux salés et très poivrés, « des cuisse comme deux troncs d’arbre », pas vrai Raoul ? « L’habitant », reflet de nos anciens temps si durs par ici. Rien de l’agriculteur paisible des généreuses plaines maraîchères de « l’en bas de nos montagnes ». Mon buriné est nommé un jack of all trades, le villégiateur dira le jobber. Indispensable.
Félix-Antoine Savard, a parlé de lui, « Menaud maître-draveur »,musclé mais fragile, illusionné mais abandonné. Avant Vigneault qui l’a bien chanté, Félix Leclerc, qui lui ressemblait à La Tuque, a crié : « Ring-ring, Mac Pherson s’est noyé !» Un autre ? À Sainte-Agathe, le gars du menuisier, le Gaston, qui alla au sud se faire religieux et qui changea d’idée et s’acheta un harmonica, se lia aux images-en-mots pour devenir Gaston Miron ! Mis en bel album de chansons tout récemment. Fini la drave, restait… le « jack of… » Voyez mon survenant, « dieu des routes » qui dévore en riant rauque un beignet au Ultramar du Boulevard. Qui boit du café chaud, gars aux biceps d’acier, aux jambes arquées, au dos déjà courbé. Cou de taureau, cheveux de fer précocement. Cantonnier d’occasion, il peut tout conduire, fardier ou tracteur ; il pratique tous les métiers manuels, ce matin, la voix éraillée par tant de saisons dehors, tu l’entendras éclater de rires féroces. Il compense par un humour ravageur d’avoir été obligé d’ignorer les longues écoles, mais il est courageux et il accepte, bravades, des risques. Il en récolte, jeune, plein de rides au front, de plis sous ses yeux. L’homo laurentis aime fêter aussi, même un rien, une bagatelle. Il ira aussi pleurer aussi s’il le faut, au salon mortuaire, l’ami gringalet dégringolé dans la chute mortelle. Fatras de bières trop vite vidées ? Il a oublié l’heure, alors bourré de houblon, il vomit sa colère et l’injustice derrière le mur d’une buvette. Demain, mon gaillard sculpté se réinstallera à un autre emploi précaire. Qu’il s’est négocié pour quatre sous. Faut pas que son fils devienne un… jack of trades. Salut à tous mes Jean-Guy Groulx. Et merci !
Il y a ce chalet au bord du petit lac Rond. Il y a vieillir. Devenu « très très » vieux, sans automobile, me déplaçant avec difficulté, où aimerais-je finir ma vie ? ». On y songe parfois ma tendre Raymonde et moi et le plus souvent la réponse est : « Rue Bernard, à Outremont. » En mai 1985 je zieutai ce logis outremontais, au 360 de la rue Querbes. Et nous quitterons ce mignon 551 rue Cherrier soulagés, il y avait plus moyen de stationner. Rue Querbes : « entrée de garage » (comme on dit) garantie. Jour et nuit !
Fin de ces années 1990, ça suffisait les entretiens variés, une seule grande maison, à Ste Ad, c’était bien assez. Mise en vente du 360 avec déménagement à ce « Phénix » -bloc d’appartements construit sur une usine de Kraft- du Chemin Bates. Phénix ou sans cesse renaître de ses cendres. Ce neuf condo c’était comme vivre à l’hôtel, avec conciergerie, plus de neige à pelleter, plus de gazon à tondre quoi, pas de « chassis-doubles » à changer, la bonne paix.
J’ai eu 78 ans, il y a pas longtemps, Bécaud chantait : « Et maintenant, que vais-je faire ? » J’aurai 80 piges bientôt, puis 85 berges en 2015 et la vue qui baissera davantage. Fin du permis de conduire peut-être ? Songer alors à une installation, -une station- dernière. Une voix gueulera : « Terminus ! Tout le monde débarque ! » Aïe ! Lecteur, tu seras vieux un jour, tu y penseras à « où planter sa dernière tente », ô voyageurs du temps présent. Là, rue Bernard, là où on va si souvent voir le monde bien vivant. En ville; pourquoi la ville ? La peur. Oui, sans doute. Grande ville où on trouve les grands hôpitaux avec les spécialistes en tous genres, mécaniciens en ces garages des derniers espoirs.
Oui donc à ma bonne vieille jolie rue Bernard. Avec nos cannes, voyez ce vieux couple, nous deux, qui traverse pour la chère Moulerie familière, ou Le Petit Italien aux plats si souvent succulents. Il y a tous les autres restos du secteur, la bonne vieille tabagie, le bon pain bien doré, les excellentes brioches des petits matins. « Ma » rue quoi et la librairie Outremont, pas loin, sauce art déco, le vieux théâtre Outremont pour du bon cinéma aussi, des concerts. ET le nerveux, agréable, marché Cinq-Saisons. J’en passe… En effet, c’est bien là, rue Bernard à Outremont, que nous voulons vivre dénicher notre dolce vita. La boucle d’une vie se bouclera, me semble-t-il, car, enfant, on venait patiner au parc Saint-Viateur, pour la musique à valses viennoises, pour « le rond vraiment en rond ». Adolescent, on y revenait, pour ses parcs bien champêtres, -où stationner la coccinelle ?- ses rues aux frondaisons étonnantes, en promenades comme dans « prendre une marche ». Avec la dulcinéa qui étudiait l’art dramatique chez la grande Sita Riddez, rue Durocher; rue où trônait le sur actif éditeur Leméac. Le mien durant presque deux décennies, là on trouve un bon resto désormais.
Cher Outremont, où, en 1925, (j’en ai parlé) ma Germaine de mère entraîna, de sa rue Hutcheson à l’église Sainte Madeleine, mon Édouard de père dans le mariage. Boucle bouclée, à la veille de disparaïtre, je sortirai sur mon balcon pour revoir au nord les deux flèches du clocher de Sainte-Cécile dans Villeray. Quoi, qu’est-ce qui m’arrive ? Revoir ma vie, en enfilade -gros magasins de diapositives ?- comme dans un film au moment de mourir. Mais oui, vous verrez, jeune gens, nous viennent ces moments, septuagénaires, où on songe à la funeste camarde ! Vous regardez le bitume de votre rue - oh asphaltage récent, Chemin Bates !- et c’est le noir Styx ! Vous cherchez des yeux le redoutable gardien, Cerbère ? Cherchez bien, il y a ce parc-à-chiens au coin de ma rue ! À votre horizon, voici, aux rames de sa noire galère, lui, le navigateur en brumes, Charon. Conduis-moi au ciel, damné pilote ! Dernier navigateur imprudent de nos fins de vie. J’achève de lire « Les portes de l’Enfer », le bon roman.
Ne craignez rien, votre chroniqueur est en relative bonne santé, il y a seulement que la mort ne me fait plus peur : vous y pensez plus souvent, vous avez vécu du mieux que vous avez pu, aucun grand péché n’accable votre conscience. C’est pas si grave, vous avez eu 89 ans, ou 99, vous étiez à la fin d’une matinée ensoleillée de juin, affalé sur une chaise de la terrasse bien aimée, rue Bernard justement et un passant s’est penché sur vous. Il fait médecine à l’université pas loin, il a bien vu, il dit aux badauds : « Ce vieillard est mort, j’en suis certain ! » Une ambulance stationne devant La Moulerie. On vous emporte. Adieu Outremont !
Il y a des limites. J’ai parlé de l’ours-du-Sommet-Bleu, sorte de yéti, des chevreuils en dévoreurs de haies de cèdres. De l’orignal-aux-pommettes chez Jodoin. J’ai narré mes bêtes rôdeuses, racoons, moufettes, rats musqués et marmotte- Donalda sous la galerie; il y a couple désormais, sachez-le. Vous savez mon bouffon Jambe-de-bois la queue en l’air, mon tigré Valdombre, au pelage bin magané… Quoi encore ?
Voilà-t-y pas qu’un matin d’il y a quinze jours, une voisine Ouellet, deux lots de chez nous, me raconte les visites d’un coyote, petit loup « qu’on aurait aperçu du côté de la plage municipale. » Quelle faune en plein village ! N’en suis pas trop surpris. À Ahuntsic, des voyageurs de nuit en quête de déchets à déguster longent le chemin de fer, avenue de Port Royal. Furent surpris dans des cours des rues voisines, Sauvé, Sauriol.
Des écoliers marchant au catéchiste (non, c’est fini ça) marchant au skateboard… témoignèrent à ma fille, rue Prieur angle Chambord : « coyotes en vue madame ! » Bref, j’écoute ça et, un peu plus tard, au rivage des Ouellet, floue, lointaine vision d’une « remuante tache rousse ». Coyote ? Je dévale l’escalier et, très prudent, je tente de mieux voir l’intrus roux, me dissimulant derrière mes pins.
ADIEU AU PETIT-LOUP
On voit pas bien car deux haies touffues me séparent du roux fringant ! Soudain, la rousse bête se secoue, s’agite, saute en l’air, fait des tours sur elle-même et, zut, disparaît à l’ouest du terrain, chez l’amie Nicole, « la grand’femme-du-docteur » pour parler le claude-henri-grignon. Je ne vois plus le —peut-être— coyote et n’ose aller enquêter. La peur. Oui car, venues de mon enfance, de tristes z’histoires de coyote agressif me hantent.
En vieillissant, vous verrez les jeunes, deux choses : on pleure plus souvent (aux films tristes) et on craint des attaques sournoises. Alors, je rentre penaud. S’il y a dommage « carnivore » du fait d’un coyote enragé, je l’apprendrai en lisant La Vallée, non ?
Mais quand je raconte le coyote à l’ancêtre bavard, à la mémoire d’archiviste, McKay, le voilà qui trépigne : « Un coyote ? C’est rien ça. Vers 1930, mon jeune (hum !), en fin d’été, le gamin d’un touriste aurait jeté dans le lac sa bestiole. Un pet griffu monstrueux et qui serait devenu une calamité. Oui m’sieur, plus personne ne voulait se baigner au lac Rond. » Je m’installe sous pergola au jardin de cet ex-couvent de briques rouges, rue Lesage; j’aime les raconteux : « 1930 ? À quelle bête marine faites-vous allusion ? » Heureux de me voir appâté : « Oh ça ! On a pas pu retracer le garçon et on a jamais pu savoir de quelle espèce au juste était la bibitte dont il s’était débarrassée. »
L’AGRANDISSEMENT DU CAÏMAN
« Chose sûre, mon p’tit garçon (hum !) comme pour alligators ou crocodiles, la « chose » mise à l’eau a pu s’agrandir, grossir. S’ajustant vite aux dimensions du lac. » Mon conteur, fier de m’avoir captivé, me dit l’avoir « vu de ses yeux vu » au printemps de 1934. « Mon ami, ce fut en quelques saisons un sorte de serpent géant qui nageait du côté du Chantecler. Des loustics la voyaient : de longs crocs jaunâtres, une peau d’écailles verdâtres, une gueule de dragon chinois, une lourde queue qui battait férocement l’eau. Le tout reposant sur quatre pattes palmées. Un horrible griffon ! »
Je restai jongleur : « Vous me menez en bateau ? » Lui : « Pantoute, essayer de retrouver des journaux de 1933-34, vous verrez, on en a parlé dans tous nos cantons. Sérieux comme un pape, McKay continua : « Plus de touristes, plus de baignades, des recherches, avec des grappins puissants, des phares, jours et nuits, furent faites dans tout le lac Rond. Rien. Un certain mois de novembre de 1936, on retrouva la queue de la bête. Toute Moisie. Putréfiée. Se décomposant. La mort. Ce fut la fin des cauchemars et on a supposé que le monstre, exilé malgré lui de la caraïbe, s’était épuisé à mort de vouloir s’échapper de Sainte-Adèle. Soulagement, en été de 1937, la vie reprit son cours joyeux. »
Satisfait, mon McKAy s’en va, avec sa mine du chat raminagrobis, content de son effet. Et moi qui jonglait à un simple coyote échappé de nos bois, ça ne pesait pas bien lourd face à un alligator adélois jeté de son bocal… Prière, si vous fouillez d’anciennes annales, de confirmer l’adéligator !