Je suis un mourant —mais oui, nous le sommes tous, depuis la naissance, n’est-ce pas ?— qui, en relative bonne santé, veux s’en aller à cent ans ! Viennent certains moments où, réfléchissant, certains se sentent très seuls. Tout jeune, dans ma modeste « petite patrie », j’étais « à part ». Mes parents s’en inquiétaient et des camarades s’éloignaient. Je ne ressemblais pas à la plupart de mes camarades, de mon quartier, de mon collège, tout le monde aimait… ce que moi je méprisais. C’est toujours lourd à constater.
Avez-vous connu cela ? La masse de mes concitoyens vénéraient des choses —des faits, des us et coutumes— pour lesquels je n’avais aucun intérêt. Souvent même, du mépris. Déjà, à quinze, à vingt ans, nous étions ainsi, quelques uns, des étrangers dans notre propre pays. Aucune vanité, croyez-moi, au contraire, une certaine inquiétude. Alors, souvent, je feignais du plaisir, par crainte d’être rejeté, rire jaune alors que je m’ennuyais ferme des populaires ferveurs de mes alentours. Avez-vous connu cela, jeune ? Cette solitude que l’on masque, ce jeu hypocrite d’applaudir à ce qui nous laisse de glace, en vérité ? Tas de secrets que l’on refoule, que l’on déguise, que l’on renie. Juste pour « rester parmi les autres », pour appartenir à sa bande, sa nation, sa société (la Québécoise). Cela se nomme l’instinct grégaire, vieux besoin de ressembler à tout le monde. C’est plus fort que tout, alors on se tait. On fait « semblant » car personne n’aime la solitude.
J’ai applaudi, lâche, à bien des niaiseries, histoire de ne pas me singulariser. En ce moment même, ouvrez bien les yeux, se trouve, à vos côtés, un jeune qui ment, qui triche, qui rit faux, qui mime une mode. Souvent c’est un jeune —votre enfant, un neveu, un petit-fils, votre jeune voisin— qui se masque. Cela juste pour faire partie « du monde ». Le poète se joint aux cohortes : monde du sport, monde des loisirs, monde des conventions communes qu’il maudit. Eh oui, il refoule, il cache, il fait le pitre, hurlant avec les loups, camouflant son dépit, se faisant passer pour « quelqu’un d’ordinaire », de normal, de banal. Cette crainte viscérale que l’on sache qu’il n’appartient pas aux utopistes. « Voyons, maman, papa, oncles, tantes, voisins, copains, ne craignez rien, je suis comme les autres. Malheur à la tête forte ou à l’homosexuel, au socialiste ou au croyant en cette époque d’athéisme mou. » Vouloir être pris pour un membre solidaire du commun des mortels. Tristesse ? Oui. C’est « la dure loi des hommes ». J’étais si seul même quand je m’agitais à dix sept ans, frénétique, hâbleur, en boogie woogie. Adolescent brûlant au fond de moi de feux interdits, secrets, avec des idéaux fous. Autour de toi, pauvre original, c’est plein de « fous du hockey », ou fous du bruit con des rockeurs, ou de cinéphiles à la sauce hollywoodienne, ou de ces assoiffés « d’avenir en argent », de grossiers humoristes. C’est la multitude qui occupe les places publiques, t’entourent. Dans le fond de ton âme (je voulais) tu veux, de ces buts lointains —mot tabou « un idéal ». Tu souhaites un horizon doré, difficile à atteindre, bravo. Il te reste la solitude donc. Jadis tu allais seul, aujourd’hui, tu vas seul vers ce que tu crois « mieux ». En silence, jeunes âmes, il y a cette frayeur que l’on devine que tu es « à part ». Ici, aujourd’hui, je te dis : tiens bon. Rêve ! Par exemple à une patrie libre, à une existence de qualité, épanouissante. La foule ne guette que confort et sécurité. Rêve, tiens bon !